J’ai financé le 11 septembre et tout le monde s’en fout !
A l’heure où tout un chacun rêve de devenir une célébrité, quitte à n’avoir rien fait pour le mériter, il est des êtres qui ont beau se démener dans les actions les plus spectaculaires qui soient, ils demeurent désespérément ignorés, ne parvenant guère à attirer la lumière sur eux. C’est le cas du général Mahmoud Ahmad, probable financier des attentats du 11 septembre - événement sans conteste le plus marquant de ce début de siècle-, et que l’on laisse à son triste anonymat. De grands médias avaient bien braqué leur regard sur lui dès les premières semaines post-attentats. Mais rien n’y fait: Mahmoud Ahmad n’intéresse pas. Il n’a pas l’étoffe d’une star. L’ancien chef des services secrets pakistanais reste un homme de l’ombre, qui semble voué à une retraite paisible sur ses terres. Lumière - tamisée - sur un suspect incroyablement tabou. (Au-delà de cet homme, c’est le rôle du Pakistan dans l’organisation du 11 septembre qui est interrogé.)
Dans les jours qui suivent le 11 septembre, les enquêteurs sont à la recherche des traces financières laissées par les terroristes. C’est grâce à elles qu’ils pourront remonter la chaîne de commandement des attentats, jusqu’aux commanditaires eux-mêmes. Le 1er octobre 2001, le FBI découvre un lien entre les pirates de l’air et Al-Qaïda, à travers un transfert d’argent au profit de Mohammed Atta, le leader des kamikazes, en Floride (BBC, 1er octobre 2001). Le 6 octobre, CNN révèle que Mohammed Atta a reçu de l’argent venant du Pakistan et que le financier serait Omar Saeed Sheikh, un Britannique d’origine pakistanaise, diplômé de l’école des Sciences Economiques de Londres, parlant cinq langues, mais surtout connu pour être l’un des financiers d’Al-Qaïda. Toute la presse publie l’information, mais omet de dire que Sheikh n’est pas seulement un agent d’Al-Qaïda, mais aussi de l’ISI, l’agence de renseignement militaire du Pakistan (voyez le remarquable portrait de ce personnage clé tracé par Paul Thompson, l’auteur du site Complete 9/11 Timeline, la plus grande base de données médiatiques sur le 11 septembre).
Révélation
Le 7 octobre, c’est le début de la guerre en Afghanistan. Ce même jour, on apprend discrètement que Mahmoud Ahmad est renvoyé de son poste de directeur de l’ISI. Mais le lendemain, le journal pakistanais The Dawn lance une véritable bombe (comme l’Indien Press Trust of India) : "Mahmoud Ahmad a été remplacé après que les enquêteurs du FBI aient établi un lien crédible entre lui et Omar Sheikh [...]. Des sources bien informées disent qu’il y avait suffisamment d’indications pour les agences de renseignement américaines montrant que c’est à la demande du général Mahmoud que Sheikh a transféré 100 000 dollars US sur le compte de Mohammed Atta..." Ce sont les services secrets indiens qui sont à l’origine de la révélation. Le 9 octobre, le très respecté Times of India la reprend : le FBI possède des preuves crédibles que "100 000 dollars on été envoyés au pirate du WTC Mohammed Atta du Pakistan par Omar Saeed Sheikh, sur les ordres du général Mahmoud Ahmad". Le transfert a lieu le 11 août 2001, et l’argent émane d’une rançon payée au gangster indien Aftab Ansari, suite à un kidnapping (Times of India, 14 février 2002). Un autre transfert de 100 000 dollars attribué à Sheikh et Ahmad a lieu un an plus tôt, durant l’été 2000, une période durant laquelle l’agent de l’ISI et d’Al-Qaïda adresse de nombreux appels à son directeur.
L’information est énorme, et pourtant elle franchit difficilement les frontières indienne et pakistanaise. Le 10 octobre, le Wall Street Journal y consacre une brève. L’AFP et l’Australian la répercutent aussi. Le 15 octobre, c’est au tour d’India Today, le 18 octobre du Daily Excelsior, et puis, plus tard, le 24 février 2002 du Sunday Herald, et le 21 avril 2002 du London Times. À en croire le député travailliste Michael Meacher, ministre de l’Environnement de Tony Blair entre 1997 et 2003, l’information aurait été confirmée par le directeur de la section financière du FBI, Dennis Lormel (Guardian, 10 septembre 2005). En France, Bernard-Henri Lévy la relaie en mai 2003 dans son best-seller Qui a tué Daniel Pearl ?. Pages 383 et 384, il effectue une bonne revue de presse internationale sur le sujet. Pages 385 à 387, il juge "à peu près certain" le lien entre Ahmad et Sheikh au sein de l’ISI, et pose la question, "que l’on ne peut plus esquiver, de la responsabilité des services pakistanais, ou d’une faction de ces services, dans l’attaque contre l’Amérique et la destruction des Tours : [...] comment ne pas penser [...] que l’attentat du 11 septembre a été voulu et financé - au moins en partie - par les barbouzes d’un pays officiellement "ami", membre de la coalition antiterroriste et ayant offert aux États-Unis son aide logistique et ses sources de renseignement ?".
Dissimulation
Le 22 juillet 2004, lorsque paraît le rapport final de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre, on ne trouve pas la moindre allusion à ces accusations. Le but explicite du rapport était pourtant de "fournir le récit le plus complet possible des événements entourant le 11/9". Le nom de Omar Saeed Sheikh n’apparaît pas une fois, celui de Mahmoud Ahmad est mentionné deux fois, pages 331 et 333, au sujet notamment de l’entrevue qu’il eut le 13 septembre 2001 avec le sous-secrétaire d’État Richard Armitage sur l’aide, déclinée en sept points, que le Pakistan devait apporter aux États-Unis. Le jour même, Michael Meacher publiait un article dans le Guardian, intitulé "The Pakistan connection", où il s’étonnait de cette omission : "Il est incroyable que ni Ahmad ni Sheikh n’aient été inculpés et traduits en justice pour ce chef d’accusation. [...] Quand Ahmad a été exposé par le Wall Street Journal comme ayant envoyé l’argent aux pirates, il a été forcé de se retirer par le président Pervez Musharraf. Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas demandé à ce qu’il soit interrogé et traduit en justice ?" Le rapport de la Commission conclut au sujet du financement du 11-Septembre, page 172 : "À ce jour, le gouvernement des États-Unis n’a pas été capable de déterminer l’origine des sommes utilisées pour les attaques du 11/9. En fin de compte, cette question n’a pas beaucoup de signification pratique."
Coïncidence ?
Si vous avez été attentif au paragraphe précédent, vous avez remarqué que, le 13 septembre, Mahmoud Ahmad discute avec Richard Armitage... En effet, étonnante coïncidence, du 4 au 13 septembre 2001, le directeur de l’ISI est en visite officielle à Washington : il y rencontre longuement des officiels de la Maison-Blanche et du Pentagone, surtout le sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques Mark Grossman (The News, 10 septembre 2001). Le 9 septembre, il s’entretient avec le directeur de la CIA, George Tenet. Celui-ci racontera dans ses mémoires, publiées en 2007, qu’il essaya alors de pousser Ahmad à faire quelque chose au sujet du soutien des taliban à Ben Laden, mais que le patron de l’ISI n’était pas disposé à faire quoi que ce soit. Le 11 septembre au matin, le financier de l’attaque qui va frapper l’Amérique prend son petit déjeuner au Capitole, en compagnie du sénateur démocrate Bob Graham, président du Comité du renseignement du Sénat, du représentant républicain Porter Goss, président du Comité du renseignement de la Chambre, du sénateur républicain Jon Kyl, et de l’ambassadeur pakistanais aux États-Unis Maleeha Lodhi. La conversation du jour porte sur le terrorisme venant d’Afghanistan et, plus particulièrement, Ben Laden. Ça tombe bien...
Disparaître
Dans les jours qui suivent, Mahmoud Ahmad établit un partenariat de lutte contre le terrorisme avec les États-Unis, qu’il assure, avec le président Musharraf, de son inconditionnel soutien. Il est chargé d’aller visiter le chef des taliban, le Mollah Omar, pour lui demander d’extrader Ben Laden. Mais l’on apprendra qu’en définitive, il lui conseilla de ne pas le livrer et de résister aux Américains (Time, 29 avril 2002). Ahmad est trop proche des taliban, dont il partage le fondamentalisme, pour rester en place. Et surtout, sa participation au financement du 11-Septembre s’ébruite dans la presse. Au moment où la guerre américaine contre les taliban commence, le 7 octobre, il est poussé vers la sortie (Guardian, 9 octobre 2001). Celui qui avait permis au général Musharraf de réussir son coup d’État et de parvenir au pouvoir le 12 octobre 1999, et qui en avait été justement remercié en étant nommé chef de l’ISI, se retire sur la pointe des pieds, et va se tapir dans l’ombre, se faire oublier pour un bon moment.
A l’heure où tout un chacun rêve de devenir une célébrité, quitte à n’avoir rien fait pour le mériter, il est des êtres qui ont beau se démener dans les actions les plus spectaculaires qui soient, ils demeurent désespérément ignorés, ne parvenant guère à attirer la lumière sur eux. C’est le cas du général Mahmoud Ahmad, probable financier des attentats du 11 septembre - événement sans conteste le plus marquant de ce début de siècle-, et que l’on laisse à son triste anonymat. De grands médias avaient bien braqué leur regard sur lui dès les premières semaines post-attentats. Mais rien n’y fait: Mahmoud Ahmad n’intéresse pas. Il n’a pas l’étoffe d’une star. L’ancien chef des services secrets pakistanais reste un homme de l’ombre, qui semble voué à une retraite paisible sur ses terres. Lumière - tamisée - sur un suspect incroyablement tabou. (Au-delà de cet homme, c’est le rôle du Pakistan dans l’organisation du 11 septembre qui est interrogé.)
Dans les jours qui suivent le 11 septembre, les enquêteurs sont à la recherche des traces financières laissées par les terroristes. C’est grâce à elles qu’ils pourront remonter la chaîne de commandement des attentats, jusqu’aux commanditaires eux-mêmes. Le 1er octobre 2001, le FBI découvre un lien entre les pirates de l’air et Al-Qaïda, à travers un transfert d’argent au profit de Mohammed Atta, le leader des kamikazes, en Floride (BBC, 1er octobre 2001). Le 6 octobre, CNN révèle que Mohammed Atta a reçu de l’argent venant du Pakistan et que le financier serait Omar Saeed Sheikh, un Britannique d’origine pakistanaise, diplômé de l’école des Sciences Economiques de Londres, parlant cinq langues, mais surtout connu pour être l’un des financiers d’Al-Qaïda. Toute la presse publie l’information, mais omet de dire que Sheikh n’est pas seulement un agent d’Al-Qaïda, mais aussi de l’ISI, l’agence de renseignement militaire du Pakistan (voyez le remarquable portrait de ce personnage clé tracé par Paul Thompson, l’auteur du site Complete 9/11 Timeline, la plus grande base de données médiatiques sur le 11 septembre).
Révélation
Le 7 octobre, c’est le début de la guerre en Afghanistan. Ce même jour, on apprend discrètement que Mahmoud Ahmad est renvoyé de son poste de directeur de l’ISI. Mais le lendemain, le journal pakistanais The Dawn lance une véritable bombe (comme l’Indien Press Trust of India) : "Mahmoud Ahmad a été remplacé après que les enquêteurs du FBI aient établi un lien crédible entre lui et Omar Sheikh [...]. Des sources bien informées disent qu’il y avait suffisamment d’indications pour les agences de renseignement américaines montrant que c’est à la demande du général Mahmoud que Sheikh a transféré 100 000 dollars US sur le compte de Mohammed Atta..." Ce sont les services secrets indiens qui sont à l’origine de la révélation. Le 9 octobre, le très respecté Times of India la reprend : le FBI possède des preuves crédibles que "100 000 dollars on été envoyés au pirate du WTC Mohammed Atta du Pakistan par Omar Saeed Sheikh, sur les ordres du général Mahmoud Ahmad". Le transfert a lieu le 11 août 2001, et l’argent émane d’une rançon payée au gangster indien Aftab Ansari, suite à un kidnapping (Times of India, 14 février 2002). Un autre transfert de 100 000 dollars attribué à Sheikh et Ahmad a lieu un an plus tôt, durant l’été 2000, une période durant laquelle l’agent de l’ISI et d’Al-Qaïda adresse de nombreux appels à son directeur.
L’information est énorme, et pourtant elle franchit difficilement les frontières indienne et pakistanaise. Le 10 octobre, le Wall Street Journal y consacre une brève. L’AFP et l’Australian la répercutent aussi. Le 15 octobre, c’est au tour d’India Today, le 18 octobre du Daily Excelsior, et puis, plus tard, le 24 février 2002 du Sunday Herald, et le 21 avril 2002 du London Times. À en croire le député travailliste Michael Meacher, ministre de l’Environnement de Tony Blair entre 1997 et 2003, l’information aurait été confirmée par le directeur de la section financière du FBI, Dennis Lormel (Guardian, 10 septembre 2005). En France, Bernard-Henri Lévy la relaie en mai 2003 dans son best-seller Qui a tué Daniel Pearl ?. Pages 383 et 384, il effectue une bonne revue de presse internationale sur le sujet. Pages 385 à 387, il juge "à peu près certain" le lien entre Ahmad et Sheikh au sein de l’ISI, et pose la question, "que l’on ne peut plus esquiver, de la responsabilité des services pakistanais, ou d’une faction de ces services, dans l’attaque contre l’Amérique et la destruction des Tours : [...] comment ne pas penser [...] que l’attentat du 11 septembre a été voulu et financé - au moins en partie - par les barbouzes d’un pays officiellement "ami", membre de la coalition antiterroriste et ayant offert aux États-Unis son aide logistique et ses sources de renseignement ?".
Dissimulation
Le 22 juillet 2004, lorsque paraît le rapport final de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre, on ne trouve pas la moindre allusion à ces accusations. Le but explicite du rapport était pourtant de "fournir le récit le plus complet possible des événements entourant le 11/9". Le nom de Omar Saeed Sheikh n’apparaît pas une fois, celui de Mahmoud Ahmad est mentionné deux fois, pages 331 et 333, au sujet notamment de l’entrevue qu’il eut le 13 septembre 2001 avec le sous-secrétaire d’État Richard Armitage sur l’aide, déclinée en sept points, que le Pakistan devait apporter aux États-Unis. Le jour même, Michael Meacher publiait un article dans le Guardian, intitulé "The Pakistan connection", où il s’étonnait de cette omission : "Il est incroyable que ni Ahmad ni Sheikh n’aient été inculpés et traduits en justice pour ce chef d’accusation. [...] Quand Ahmad a été exposé par le Wall Street Journal comme ayant envoyé l’argent aux pirates, il a été forcé de se retirer par le président Pervez Musharraf. Pourquoi les États-Unis n’ont-ils pas demandé à ce qu’il soit interrogé et traduit en justice ?" Le rapport de la Commission conclut au sujet du financement du 11-Septembre, page 172 : "À ce jour, le gouvernement des États-Unis n’a pas été capable de déterminer l’origine des sommes utilisées pour les attaques du 11/9. En fin de compte, cette question n’a pas beaucoup de signification pratique."
Coïncidence ?
Si vous avez été attentif au paragraphe précédent, vous avez remarqué que, le 13 septembre, Mahmoud Ahmad discute avec Richard Armitage... En effet, étonnante coïncidence, du 4 au 13 septembre 2001, le directeur de l’ISI est en visite officielle à Washington : il y rencontre longuement des officiels de la Maison-Blanche et du Pentagone, surtout le sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques Mark Grossman (The News, 10 septembre 2001). Le 9 septembre, il s’entretient avec le directeur de la CIA, George Tenet. Celui-ci racontera dans ses mémoires, publiées en 2007, qu’il essaya alors de pousser Ahmad à faire quelque chose au sujet du soutien des taliban à Ben Laden, mais que le patron de l’ISI n’était pas disposé à faire quoi que ce soit. Le 11 septembre au matin, le financier de l’attaque qui va frapper l’Amérique prend son petit déjeuner au Capitole, en compagnie du sénateur démocrate Bob Graham, président du Comité du renseignement du Sénat, du représentant républicain Porter Goss, président du Comité du renseignement de la Chambre, du sénateur républicain Jon Kyl, et de l’ambassadeur pakistanais aux États-Unis Maleeha Lodhi. La conversation du jour porte sur le terrorisme venant d’Afghanistan et, plus particulièrement, Ben Laden. Ça tombe bien...
Disparaître
Dans les jours qui suivent, Mahmoud Ahmad établit un partenariat de lutte contre le terrorisme avec les États-Unis, qu’il assure, avec le président Musharraf, de son inconditionnel soutien. Il est chargé d’aller visiter le chef des taliban, le Mollah Omar, pour lui demander d’extrader Ben Laden. Mais l’on apprendra qu’en définitive, il lui conseilla de ne pas le livrer et de résister aux Américains (Time, 29 avril 2002). Ahmad est trop proche des taliban, dont il partage le fondamentalisme, pour rester en place. Et surtout, sa participation au financement du 11-Septembre s’ébruite dans la presse. Au moment où la guerre américaine contre les taliban commence, le 7 octobre, il est poussé vers la sortie (Guardian, 9 octobre 2001). Celui qui avait permis au général Musharraf de réussir son coup d’État et de parvenir au pouvoir le 12 octobre 1999, et qui en avait été justement remercié en étant nommé chef de l’ISI, se retire sur la pointe des pieds, et va se tapir dans l’ombre, se faire oublier pour un bon moment.