La nouvelle vogue de la presse religieuse
Apocalypse now !
Quand un peuple n’arrive pas à suivre les nécessités de l’époque, il se tourne vers l’au-delà, se nourrit de versets et de hadith pour affronter son devenir métaphysique, pour se réserver une place dans l’avion se dirigeant au Paradis et s’épargner les vicissitudes d’un séjour peu agréable en enfer ! Donc, logiquement, ce peuple ne s’intéresserait certainement pas aux festivités fantomatiques de notre chère "Alger, capitale de la culture arabe" ni aux pages culturelles des quotidiens indépendants ; tout ça c’est une perte de temps ! Car le temps presse ! La vie d’ici-bas est éphémère ! Il faut se grouiller pour ne pas rater l’avion ! Il faut ramasser le maximum de "hassanate" pour s’assurer une éternité confortable ! Il faut se cogner la tête par terre tant qu’on peut pour être admis à l’Eden ! Il faut avoir faim (au propre comme au figuré !) pendant tout un mois, sans compter les bonus (le lundi et le jeudi de chaque semaine et les autres occasions à ne pas rater) ! Il faut sortir le vendredi avec un qamis et une barbe pour la circonstance et aller se confesser "à la musulmane", à la mosquée ! Il faut consulter nos "psychologues religieux" pour un oui ou pour un non afin de se rapprocher davantage du cœur du "vrai islam", l’islam pur et dur !
A certains moments de l’existence, les plus éprouvants, on se rappelle soudain que la mort est tout au bout, qu’une fois enfermé dans une chambre froide sous terre, il n’y aura que le nombre d’actions que l’on possède dans l’entreprise de piété qui pourra nous sauver ! Les mathématiques existent en religion, attention ! Si la balance penche du mauvais côté, ne serait ce qu’à cause d’un millième de gramme de péchés, on est foutu ! C’est pour cela qu’il faut avoir la sensibilité des bijoutiers et l’exactitude des matheux pour espérer un certain pourcentage de survie quant à la grande autodafé de l’au-delà !
Mais, malheureusement, en religion comme dans toutes les sciences exactes, les Algériens ont tendance à faillir ! Il leur est déjà très difficile de pouvoir équilibrer leur propre budget pour arriver à la fin du mois sains et saufs sans compter les quelques sous d’économie pour l’avenir, sait-on jamais ! Que dire alors de l’effort surhumain qu’ils doivent fournir pour réunir des économies métaphysiques afin de s’assurer un avenir assez confortable après cette ultime retraite qu’est la mort ! Donc, faute de culture religieuse individuelle, on consulte les savants du domaine ; ceux qui ont fait leurs preuves à coup de barbes moyenâgeuses, de polygamie, de soixante "hizb" appris par cœur, de bleus au fronts grâce aux heures continues de prière…etc. Ce sont nos sauveurs, nos députés choisis par suffrage para-universel au sein du parlement métaphysique entre ciel et terre. Ce sont les gardiens du temple dont il ne reste apparemment que les piliers et quelques gravats d’une civilisation évanouie. Ce sont les capitaines de bord qui vont empêcher notre Titanic religieux de heurter l’immense Iceberg de la damnation !
Et pour une fois, contrairement aux besoins fondamentaux d’une vie terrestre acceptable, les musulmans sont bien servis quant à l’accès à ce genre de services. On trouvera ces "anges rédempteurs" partout, à un prix minime et abordable pour toutes les tranches de la société. A la télé, une multitude de chaînes satellitaires qui, elles aussi, appliquent le moindre commandement de l’islam avec une minutie maniaque, c’est à dire : pas de femmes à l’écran, pas de musique sinon les "anachide" (chants religieux), pas de films ni de feuilletons sinon ceux qui racontent la vie des grandes figures de l’islam d’antan ou les grandes guerres de son Histoire… Alors, que diffusent ces chaînes ? Des émissions, des émissions et encore des émissions ! Les titres ? Tous pareils en sens (pour peu qu’il y en ait !) même si les termes étymologiquement diffèrent : Fatwas en direct, La lumière de l’islam, Préparez-vous pour l’éternité, La Sunna…etc. (car ça n’en finira jamais) ! Voilà pour les titres. Le reste n’est pas sans donner la chair de poule à un spectateur ayant un tout petit penchant pour l’esthétique !
D’abord, le présentateur, censé donner une apparence présentable au public, est un barbu (du 30 cm, attention !), un chèche rouge et blanc sur la tête (la mode saoudienne immortelle depuis des siècles !), un visage qui ne sourit jamais, des yeux qui ne reflètent rien de ce qui peut réconforter le téléspectateur, une bouche molle et machinale… L’invité, qui est bien entendu un mufti bon marché, est la copie de l’animateur mais en plus "hard", c’est l’apparence religieuse "pro", non plus chic ou plus présentable mais seulement plus zélée, c’est à dire : plus repoussante ! Les fidèles appellent incessamment pour s’abreuver de conseils et de consignes, pour mettre à jour leur liste d’interdits et de permis, pour classer le plus banal des incidents dans l’une de ces deux cases… Ces émissions sont l’incarnation télévisée d’une station-services ; quand on entame un long voyage, il est indispensable de faire le plein. Mais la différence, c’est qu’en voyage, si l’on tombe en panne d’essence, il y aura toujours une âme charitable qui s’arrêtera et nous en donnera ; mais en route pour l’au-delà, si l’on se trouve à cours de "hassanates", on est cuit (plus au propre qu’au figuré !).
Si l’on observe bien ces émissions, on constaterait aisément que les réponses du Mufti se réduisent souvent à deux mots : "Hallal" ou "Haram" avec, si possible, des versets coraniques et des "hadith" pour soutenir son jugement… Et il va sans dire que le mot Haram la remporte largement sur l’autre ; vu que les téléspectateurs appellent surtout pour des problèmes basculant entre le permis et l’interdit et comme le réflexe religieux est de taille, c’est illico presto HARAM !
Outre ces émission exclusivement "haramisantes", les gardiens du temple pensent aussi aux fidèles incapables de se procurer un diffuseur numérique et, de ce fait, ils publient à grand tirage des journaux qui ont ceci de particulier : pas de Une ! Ce qui pourrait passer pour leur "Une" est un patchwork entre des dizaines d’appels à la "tawba" en forme de témoignages, d’histoires de djinn, de châtiments célestes immédiats…etc. De quoi vous f**** un strabisme divergeant, des nausées et des maux de tête sans remède… ! Si, après cette "Une" novatrice, vous aurez encore un peu de force pour ouvrir le journal et le parcourir, vous serez bien servi ! Ce sont "Les mille et une nuits" version Hitchcock ! Un homme déterré trois heures après son enterrement, avec toute la métamorphose dépassant de loin les effets spéciaux des films d’horreur : cheveux blanchis, yeux écarquillés de terreur, os en compote… Un peu plus loin, sur la même page, un demeuré que seul son repentir a pu délivrer du puissant djinn… Juste à côté, une colonne pour les consultations rapidos, une autre pour l’interprétation des rêves, d’autres encore pour les histoires de pécheurs et surtout de pécheresses qui ont eu leurs comptes…etc. etc.
Mais ce qui attire le plus l’attention, c’est évidemment ces Nostradamus musulmans qui, certains que la fin des temps est proche, vous montrent tantôt quelques miracles divins partout dans le monde (un arbre où est écrit le nom d’Allah, un enfant né avec deux cornes, un autre avec un seul œil au milieu du front…), tantôt donnent des conseils d’usage dont le plus rocambolesque est : comment reconnaître l’antéchrist !
Naturellement, vu le nombre de pages, le nombre de colonnes qui se disputent ces pages et le nombre de muftis dont les delirium véhiculent le journal, il serait impossible de cerner ce phénomène entièrement…Mais les questions à poser sont claires : Pourquoi l’Etat, qui sait si bien agir contre les quotidiens indépendants et démocratiques, n’agit toujours pas contre ces charlatans ? Peut-on blâmer l’humble Algérien qui, faute de repères palpables, se gave de repères pseudo-religieux ? Laissera-t-on ces promoteurs du terrorisme et de l’obscurantisme répandre leurs doctrines pestilentielles jusqu’à arriver à une nouvelle décennie noire (qui sera, cette fois, la plus noire de toutes) ? Laissera-t-on cette épidémie de terreur et de mensonges avoir raison des jeunes Algériens jusqu’à les pousser à prendre le maquis pour combattre un système corrompu et établir un Etat islamique" ? Et le plus important : est-ce cela la vraie religion ?
Sarah Haidar
La dépêche de Kabylie
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