Le monde en crises : les Kurdes sans état
BAUDOUIN LOOS
mardi 20 novembre 2007, 18:57
Les Kurdes ont intérêt à rester sur la voie du dialogue pour éviter une guerre.
Alors que les efforts militaires de l’armée américaine et du gouvernement irakien commencent à peine à donner de premiers résultats – encore bien précaires – en matière de retour au calme en Irak, la question de Kirkouk pourrait, selon certains Cassandre, remettre le feu aux poudres et plonger le pays dans une vraie guerre civile. Tout va dépendre, ces prochaines semaines, de la capacité des Kurdes à rester sur la voie du dialogue.
De quoi s’agit-il ? Peuplée de Turkmènes, Kurdes, Arabes et Assyriens, la ville de Kirkouk attise bien des convoitises. Sans ses importantes richesses pétrolières, il y a gros à parier que la question ne présenterait pas une telle acuité. Les Kurdes irakiens exigent en tout cas que la ville soit incorporée dans leur région autonome et devienne leur capitale, ce que les autres communautés refusent.
Le régime dictatorial du parti Baas, sous Saddam Hussein, avait entrepris d’arabiser la ville dès les années 70. Maints Kurdes et Turkmènes en avaient été chassés, pendant que des Irakiens arabes étaient incités à y prendre racine. La chute du despote, en 2003, allait modifier la donne : les Kurdes tentent depuis lors de revenir sur leurs terres, mais plusieurs milliers d’entre eux ont été contraints de squatter d’anciennes casernes ou des bâtiments officiels en attendant mieux.
Quelque 36.000 Arabes venus sous l’ère de Saddam ont accepté de quitter la ville et de toucher 16.000 dollars. Mais moins de mille cas ont été réglés en raison, notamment, d’un mécanisme juridique complexe.
Au sein du nouveau régime mis en place à Bagdad après l’invasion menée par les Américains, les Kurdes occupent, avec les chiites, une place prépondérante. Et ils ont réussi à faire figurer dans la constitution adoptée en 2005 un paragraphe prévoyant qu’un recensement aurait lieu à Kirkouk en 2007 et qu’un référendum y serait tenu avant la fin de la même année. Mais le recensement n’a jamais été fait, au grand dam des Kurdes, qui s’estiment désormais majoritaires.
Le 17 novembre, la question de Kirkouk a été évoquée au parlement irakien lors d’une séance houleuse. Le Kurde Fouad Massoum s’y est montré agressif : « Le recensement est un devoir du gouvernement, a-t-il déclaré. La constitution lie tous les Irakiens. Si les autorités ne se conduisent pas de manière responsable, les partis kurdes trouveront une autre manière d’agir »…
Appelant les Kurdes à ne pas se focaliser sur un respect trop scrupuleux des délais qui rendrait une consultation impossible, le député turkmène chiite Abbas Bayati n’a pas hésité à sonner l’alarme : « Le problème de Kirkouk va déclencher une guerre civile s’il n’est pas réglé, a-t-il dit. Il faut un recensement et un référendum, mais pour que tout le monde respecte le référendum, il faut qu’il se tienne dans des conditions acceptables de transparence. Or, les conditions de sécurité actuelles ne permettent pas de tenir un référendum. »
Il est vrai que les rapports provenant de Kirkouk n’ont rien de rassurant. A quelques encablures de la région autonome kurde qui prospère comme jamais, la ville de 1,3 million d’habitants fait piètre figure, hantée par une violence d’origine politique ou criminelle synonyme d’attentats, d’enlèvements et de meurtres.
Sur ce tableau se greffe la volonté turque d’empêcher que Kirkouk ne passe aux mains des Kurdes. Pas seulement en raison de l’existence d’une forte présence turkmène dans la ville : les Turcs s’inquiètent surtout de l’apport financier décisif qu’incarnerait pour les Kurdes irakiens l’inclusion des richesses pétrolières de Kirkouk au budget de leur région autonome. Un apport qui nourrirait leur aspiration indépendantiste…
www.lesoir.be
BAUDOUIN LOOS
mardi 20 novembre 2007, 18:57
Les Kurdes ont intérêt à rester sur la voie du dialogue pour éviter une guerre.
Alors que les efforts militaires de l’armée américaine et du gouvernement irakien commencent à peine à donner de premiers résultats – encore bien précaires – en matière de retour au calme en Irak, la question de Kirkouk pourrait, selon certains Cassandre, remettre le feu aux poudres et plonger le pays dans une vraie guerre civile. Tout va dépendre, ces prochaines semaines, de la capacité des Kurdes à rester sur la voie du dialogue.
De quoi s’agit-il ? Peuplée de Turkmènes, Kurdes, Arabes et Assyriens, la ville de Kirkouk attise bien des convoitises. Sans ses importantes richesses pétrolières, il y a gros à parier que la question ne présenterait pas une telle acuité. Les Kurdes irakiens exigent en tout cas que la ville soit incorporée dans leur région autonome et devienne leur capitale, ce que les autres communautés refusent.
Le régime dictatorial du parti Baas, sous Saddam Hussein, avait entrepris d’arabiser la ville dès les années 70. Maints Kurdes et Turkmènes en avaient été chassés, pendant que des Irakiens arabes étaient incités à y prendre racine. La chute du despote, en 2003, allait modifier la donne : les Kurdes tentent depuis lors de revenir sur leurs terres, mais plusieurs milliers d’entre eux ont été contraints de squatter d’anciennes casernes ou des bâtiments officiels en attendant mieux.
Quelque 36.000 Arabes venus sous l’ère de Saddam ont accepté de quitter la ville et de toucher 16.000 dollars. Mais moins de mille cas ont été réglés en raison, notamment, d’un mécanisme juridique complexe.
Au sein du nouveau régime mis en place à Bagdad après l’invasion menée par les Américains, les Kurdes occupent, avec les chiites, une place prépondérante. Et ils ont réussi à faire figurer dans la constitution adoptée en 2005 un paragraphe prévoyant qu’un recensement aurait lieu à Kirkouk en 2007 et qu’un référendum y serait tenu avant la fin de la même année. Mais le recensement n’a jamais été fait, au grand dam des Kurdes, qui s’estiment désormais majoritaires.
Le 17 novembre, la question de Kirkouk a été évoquée au parlement irakien lors d’une séance houleuse. Le Kurde Fouad Massoum s’y est montré agressif : « Le recensement est un devoir du gouvernement, a-t-il déclaré. La constitution lie tous les Irakiens. Si les autorités ne se conduisent pas de manière responsable, les partis kurdes trouveront une autre manière d’agir »…
Appelant les Kurdes à ne pas se focaliser sur un respect trop scrupuleux des délais qui rendrait une consultation impossible, le député turkmène chiite Abbas Bayati n’a pas hésité à sonner l’alarme : « Le problème de Kirkouk va déclencher une guerre civile s’il n’est pas réglé, a-t-il dit. Il faut un recensement et un référendum, mais pour que tout le monde respecte le référendum, il faut qu’il se tienne dans des conditions acceptables de transparence. Or, les conditions de sécurité actuelles ne permettent pas de tenir un référendum. »
Il est vrai que les rapports provenant de Kirkouk n’ont rien de rassurant. A quelques encablures de la région autonome kurde qui prospère comme jamais, la ville de 1,3 million d’habitants fait piètre figure, hantée par une violence d’origine politique ou criminelle synonyme d’attentats, d’enlèvements et de meurtres.
Sur ce tableau se greffe la volonté turque d’empêcher que Kirkouk ne passe aux mains des Kurdes. Pas seulement en raison de l’existence d’une forte présence turkmène dans la ville : les Turcs s’inquiètent surtout de l’apport financier décisif qu’incarnerait pour les Kurdes irakiens l’inclusion des richesses pétrolières de Kirkouk au budget de leur région autonome. Un apport qui nourrirait leur aspiration indépendantiste…
www.lesoir.be
