Etonnant quand je lis les propos de trinita j'ai l'impression d'avoir à faire à un membre du gouvernement français de droite :
« Fatigue » au Quai d’Orsay, misère à Gaza
Il est temps qu’Israël « change de disque en ce qui concerne les relations avec la France. (...) Les Français prennent de bonnes positions. Ils luttent contre le projet nucléaire iranien, contre le Hezbollah au Liban sud, et restent fermes face au Hamas. Que pouvons-nous espérer de plus (1) ? ». Ce n’est pas un défenseur ardent de la politique arabe de la France qui s’exprime ainsi, mais Mme Tzipi Livni, nouvelle ministre israélienne des affaires étrangères, à l’occasion de sa visite à Paris le 1er mars 2006.
On comprend sa satisfaction. Depuis plusieurs mois, la voix de la France se fait plus « mesurée », renvoyant dos à dos occupants et occupés. Ainsi, lors de l’assaut de l’armée israélienne contre la prison de Jéricho, en mars 2006 (2), le porte-parole du ministère des affaires étrangères se contente de préciser : « Nous avons vu les dépêches d’agence à ce sujet. Il semble que la situation soit un peu confuse. Nous essayons d’en savoir davantage. Il est difficile pour moi de me prononcer sans connaître les circonstances exactes dans lesquelles cette opération s’est produite. » Le lendemain, il n’est pas vraiment plus explicite, rappelant que M. Philippe Douste-Blazy s’est entretenu avec ses homologues israélien et palestinien et « a lancé un appel à la retenue et à l’esprit de responsabilité... ». Interrogé plus avant, il précise : « Nous ne souhaitons pas dans cette affaire distribuer les bons et les mauvais points. »
Comme le reconnaît un diplomate français, « nous avons une position plus “équilibrée” qu’il y a deux ans, où nous critiquions plus rapidement les Israéliens. Nous faisons moins crédit aux Palestiniens, et Abou Mazen [Mahmoud Abbas] nous a déçus ». C’est un euphémisme.
Même sur l’érection du mur de séparation, pourtant condamnée par la Cour internationale de justice et par les Nations unies, M. Douste-Blazy se montre « équilibré » : « Personne ne peut vouloir un mur entre les deux peuples. Mais en même temps, les Israéliens vous disent que ça a diminué de 80 % le nombre d’attentats... (...) Donc je ne suis pas pour la barrière de séparation a priori, évidemment, comme personne, même pas eux [les Israéliens, sic !]. Mais là, il y a des résultats déjà vis-à-vis des terroristes (3). »
L’élection au Conseil législatif palestinien d’une majorité de députés du Hamas en janvier 2006 entraîne une réaction unanime de la France et de ses partenaires de l’Union européenne. Un ultimatum est adressé aux nouvelles autorités : reconnaître Israël ; renoncer au terrorisme ; entériner les accords d’Oslo.
Mais ces exigences ne devraient-elles pas être adressées aux deux parties ? Après tout, le gouvernement israélien poursuit ses assassinats « ciblés », se livre à des bombardements contre la population civile qui relèvent du terrorisme d’Etat, accélère la colonisation (que la charte de la Cour pénale internationale [CPI] définit comme un « crime de guerre ») et refuse la création d’un Etat palestinien dans les frontières fixées par le droit international.
D’autre part, si on veut faire évoluer le gouvernement palestinien, ne faut-il pas justement négocier avec lui ? Quand, en 1996, M. Benyamin Nétanyahou, opposé aux accords d’Oslo, est élu premier ministre à la suite de l’assassinat d’Itzhak Rabin et présente son nouveau programme, qui comprend « le renforcement, l’élargissement et le développement » de la colonisation juive sur « les hauteurs du Golan, la vallée du Jourdain, la Judée, la Samarie et Gaza (4) », ni la France ni l’Union européenne n’ont « suspendu » leurs contacts avec lui. Ni décidé de sanctions comme celles prises contre le gouvernement palestinien élu, avec la suspension de l’aide directe. Décision politiquement stupide – elle discrédite, dans l’opinion de tout le monde musulman, l’idée de la démocratie – et moralement condamnable – elle affame un peuple « coupable » d’avoir mal voté.
Pourtant, à plusieurs reprises, notamment lors de son voyage en Arabie saoudite au mois de mars 2006, M. Jacques Chirac a condamné le principe des sanctions. « Je suis, pour ma part, hostile aux sanctions en général et, en particulier, dans ce cas-là, car je ne vois pas pourquoi on prendrait des sanctions dont la conséquence serait supportée essentiellement par le peuple palestinien. » Le président français s’est prononcé pour un mécanisme qui permettrait de « contourner » les barrières fixées par l’Union européenne, avec l’accord de la France... Outre que cela prendra du temps, il est douteux qu’un tel mécanisme mette un terme à la détérioration de la situation sur le terrain.
Cet infléchissement de la politique française à l’égard des Palestiniens s’est accompagné d’un renforcement sans précédent des relations avec Israël. C’est M. Dominique de Villepin, à peine arrivé au Quai d’Orsay, au printemps 2002, qui en prend l’initiative. Dès juillet, un groupe de haut niveau, présidé conjointement par M. Yehuda Lancry, un ancien ambassadeur israélien à Paris, et le Dr David Khayat, cancérologue, ami personnel de M. de Villepin, se met en place. Personne n’y croit vraiment.
Et pourtant... Un relevé de conclusions est établi à Paris le 16 septembre 2003. Il débouche sur un colloque entre intellectuels, un Forum franco-israélien des villes jumelées, un Haut Conseil scientifique et un Forum franco-israélien pour la jeunesse, ainsi que sur la mise en place de l’association de préfiguration de la fondation France-Israël. A la mi-mai 2006 s’ouvre une grande saison française en Israël. Les coopérations économique et militaire s’intensifient (5).
Ce dégel s’accompagne du resserrement des relations politiques. A l’automne 2003, quand M. Chirac choisit M. Gérard Araud comme ambassadeur en Israël, au détriment d’un autre candidat qui connaît la région, mais qui est considéré comme trop favorable aux Arabes, le nouveau représentant reçoit des instructions très claires : restaurer les relations avec Tel-Aviv. Il y faudra un peu de temps, quelques secousses, mais la visite de M. Ariel Sharon à Paris en juillet 2005 confirme qu’une nouvelle page est tournée. La mort de Yasser Arafat, en novembre 2004, a levé le dernier obstacle. Désormais, à Paris, on oublie la Palestine. « La région connaît tellement d’autres problèmes, de l’Irak au Liban », souligne un diplomate qui reconnaît une certaine « fatigue » face au dossier.
« Notre problème, explique un diplomate arabe, n’est pas que la France ait développé de bonnes relations avec Israël. Au contraire... Mais elle ne s’en sert pas pour faire avancer le processus de paix. » Et, en fait, le problème palestinien a désormais été relégué au dernier rang de l’ordre du jour du dialogue bilatéral. Paris, bien sûr, maintient ses positions de principe sur la création d’un Etat palestinien indépendant, mais cela a-t-il encore une importance ?
La construction du tramway de Jérusalem illustre les nouvelles priorités de la France. Deux entreprises (Alstom (6) et Connex) ont emporté l’appel d’offres pour ce projet. Seul détail gênant, son itinéraire passe par des territoires occupés : il relie Jérusalem-Ouest à deux colonies juives de Jérusalem-Est, Psgat Zeev et French Hill, que Paris estime, jusqu’à preuve du contraire, « illégales ». Interrogée par un député, Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, explique : « L’Etat français ne dispose d’aucun pouvoir d’injonction ou de contrainte lui permettant d’amener les entreprises françaises qui ont participé à un appel d’offres international à se retirer d’un marché... »
Pure langue de bois. D’une part, le gouvernement ne s’est jamais privé de « conseiller » à des entreprises de renoncer à des projets (il l’a fait encore récemment en interdisant à Total de conclure des accords avec la Syrie) (lire « La voix brouillée de la France »). D’autre part, le contrat a été signé, le 17 juillet 2005, en présence de l’ambassadeur de France, M. Araud, et dans les bureaux du premier ministre Sharon. Le bulletin de l’ambassade de France salue la « cérémonie officielle » de signature.
Dans un discours prononcé à Herzliya, le 16 décembre 2004, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, salue l’investissement français dans le tramway : « Il n’y a pas, je crois, de meilleure illustration de l’intensité de notre coopération. » Dans la même allocution, il est vrai, M. Sarkozy évoquait le combat commun mené par « nos soldats » en 1956, lors de la triste expédition coloniale contre l’Egypte de Nasser pour « récupérer » le canal de Suez, combat qui se poursuit grâce à l’action de « nos services de renseignement »...
Dans cet infléchissement, la volonté de se rapprocher des Etats-Unis, qui lancent une grande campagne dès 2002 sur « La France, pays antisémite », a aussi lourdement pesé. Les dirigeants et les responsables de plusieurs partis politiques vont chercher à se dédouaner et à obtenir la caution des grandes organisations juives américaines. Lors de son voyage à New York, en septembre 2003, le président Chirac se fait accompagner par des représentants d’organisations juives françaises pour rencontrer leurs homologues américains.
Ces organisations ne se privent d’ailleurs pas d’intervenir directement en France et d’y exporter leur savoir-faire. Ainsi l’Union des patrons et des professionnels juifs de France (UPJF) reçoit-elle une aide matérielle de l’American Jewish Congress, qui avait appelé au boycottage du Festival de Cannes en mai 2002. Connue pour ses positions extrémistes, l’UPJF – à la création de laquelle a participé la secrétaire d’Etat aux droits des vicitimes Nicole Guedj – a tenu le 30 mars 2006 un dîner de gala en présence du député UMP Eric Raoult, du socialiste Julien Dray et du chef de cabinet de M. Sarkozy, à qui a été décerné le prix de l’homme politique de l’année (7). « Nous assistons à une communautarisation de la politique étrangère française », s’inquiète un diplomate.
Ainsi, l’American Jewish Committee a organisé un voyage d’une vingtaine de députés français en Israël, conduits par M. François Fillon, proche conseiller de M. Sarkozy. A l’issue d’entretiens avec les participants, l’agence Guysen Israel News notait que ce qui avait frappé le plus est qu’« Israël et la France – en tant que démocraties parlementaires – sont dans une même position face à l’islam ( ».
Quatre raisons, très différentes, contribuent donc à l’inflexion de la politique française. Une volonté de se rapprocher des Etats-Unis ; une « fatigue » à l’égard de la « cause palestinienne », dont on oublie qu’elle est au cœur de tous les affrontements au Proche-Orient ; la conviction que « nous » faisons face, avec Israël, à un même ennemi, l’islam ; enfin, une volonté de gagner les bonnes grâces de la communauté juive organisée (qui ne représente qu’une minorité des juifs de France), au risque d’accréditer l’idée d’un « lobby juif » et d’alimenter un antisémitisme déjà bien réel.
Alain Gresh.
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/06/GRESH/13522
« Fatigue » au Quai d’Orsay, misère à Gaza
Il est temps qu’Israël « change de disque en ce qui concerne les relations avec la France. (...) Les Français prennent de bonnes positions. Ils luttent contre le projet nucléaire iranien, contre le Hezbollah au Liban sud, et restent fermes face au Hamas. Que pouvons-nous espérer de plus (1) ? ». Ce n’est pas un défenseur ardent de la politique arabe de la France qui s’exprime ainsi, mais Mme Tzipi Livni, nouvelle ministre israélienne des affaires étrangères, à l’occasion de sa visite à Paris le 1er mars 2006.
On comprend sa satisfaction. Depuis plusieurs mois, la voix de la France se fait plus « mesurée », renvoyant dos à dos occupants et occupés. Ainsi, lors de l’assaut de l’armée israélienne contre la prison de Jéricho, en mars 2006 (2), le porte-parole du ministère des affaires étrangères se contente de préciser : « Nous avons vu les dépêches d’agence à ce sujet. Il semble que la situation soit un peu confuse. Nous essayons d’en savoir davantage. Il est difficile pour moi de me prononcer sans connaître les circonstances exactes dans lesquelles cette opération s’est produite. » Le lendemain, il n’est pas vraiment plus explicite, rappelant que M. Philippe Douste-Blazy s’est entretenu avec ses homologues israélien et palestinien et « a lancé un appel à la retenue et à l’esprit de responsabilité... ». Interrogé plus avant, il précise : « Nous ne souhaitons pas dans cette affaire distribuer les bons et les mauvais points. »
Comme le reconnaît un diplomate français, « nous avons une position plus “équilibrée” qu’il y a deux ans, où nous critiquions plus rapidement les Israéliens. Nous faisons moins crédit aux Palestiniens, et Abou Mazen [Mahmoud Abbas] nous a déçus ». C’est un euphémisme.
Même sur l’érection du mur de séparation, pourtant condamnée par la Cour internationale de justice et par les Nations unies, M. Douste-Blazy se montre « équilibré » : « Personne ne peut vouloir un mur entre les deux peuples. Mais en même temps, les Israéliens vous disent que ça a diminué de 80 % le nombre d’attentats... (...) Donc je ne suis pas pour la barrière de séparation a priori, évidemment, comme personne, même pas eux [les Israéliens, sic !]. Mais là, il y a des résultats déjà vis-à-vis des terroristes (3). »
L’élection au Conseil législatif palestinien d’une majorité de députés du Hamas en janvier 2006 entraîne une réaction unanime de la France et de ses partenaires de l’Union européenne. Un ultimatum est adressé aux nouvelles autorités : reconnaître Israël ; renoncer au terrorisme ; entériner les accords d’Oslo.
Mais ces exigences ne devraient-elles pas être adressées aux deux parties ? Après tout, le gouvernement israélien poursuit ses assassinats « ciblés », se livre à des bombardements contre la population civile qui relèvent du terrorisme d’Etat, accélère la colonisation (que la charte de la Cour pénale internationale [CPI] définit comme un « crime de guerre ») et refuse la création d’un Etat palestinien dans les frontières fixées par le droit international.
D’autre part, si on veut faire évoluer le gouvernement palestinien, ne faut-il pas justement négocier avec lui ? Quand, en 1996, M. Benyamin Nétanyahou, opposé aux accords d’Oslo, est élu premier ministre à la suite de l’assassinat d’Itzhak Rabin et présente son nouveau programme, qui comprend « le renforcement, l’élargissement et le développement » de la colonisation juive sur « les hauteurs du Golan, la vallée du Jourdain, la Judée, la Samarie et Gaza (4) », ni la France ni l’Union européenne n’ont « suspendu » leurs contacts avec lui. Ni décidé de sanctions comme celles prises contre le gouvernement palestinien élu, avec la suspension de l’aide directe. Décision politiquement stupide – elle discrédite, dans l’opinion de tout le monde musulman, l’idée de la démocratie – et moralement condamnable – elle affame un peuple « coupable » d’avoir mal voté.
Pourtant, à plusieurs reprises, notamment lors de son voyage en Arabie saoudite au mois de mars 2006, M. Jacques Chirac a condamné le principe des sanctions. « Je suis, pour ma part, hostile aux sanctions en général et, en particulier, dans ce cas-là, car je ne vois pas pourquoi on prendrait des sanctions dont la conséquence serait supportée essentiellement par le peuple palestinien. » Le président français s’est prononcé pour un mécanisme qui permettrait de « contourner » les barrières fixées par l’Union européenne, avec l’accord de la France... Outre que cela prendra du temps, il est douteux qu’un tel mécanisme mette un terme à la détérioration de la situation sur le terrain.
Cet infléchissement de la politique française à l’égard des Palestiniens s’est accompagné d’un renforcement sans précédent des relations avec Israël. C’est M. Dominique de Villepin, à peine arrivé au Quai d’Orsay, au printemps 2002, qui en prend l’initiative. Dès juillet, un groupe de haut niveau, présidé conjointement par M. Yehuda Lancry, un ancien ambassadeur israélien à Paris, et le Dr David Khayat, cancérologue, ami personnel de M. de Villepin, se met en place. Personne n’y croit vraiment.
Et pourtant... Un relevé de conclusions est établi à Paris le 16 septembre 2003. Il débouche sur un colloque entre intellectuels, un Forum franco-israélien des villes jumelées, un Haut Conseil scientifique et un Forum franco-israélien pour la jeunesse, ainsi que sur la mise en place de l’association de préfiguration de la fondation France-Israël. A la mi-mai 2006 s’ouvre une grande saison française en Israël. Les coopérations économique et militaire s’intensifient (5).
Ce dégel s’accompagne du resserrement des relations politiques. A l’automne 2003, quand M. Chirac choisit M. Gérard Araud comme ambassadeur en Israël, au détriment d’un autre candidat qui connaît la région, mais qui est considéré comme trop favorable aux Arabes, le nouveau représentant reçoit des instructions très claires : restaurer les relations avec Tel-Aviv. Il y faudra un peu de temps, quelques secousses, mais la visite de M. Ariel Sharon à Paris en juillet 2005 confirme qu’une nouvelle page est tournée. La mort de Yasser Arafat, en novembre 2004, a levé le dernier obstacle. Désormais, à Paris, on oublie la Palestine. « La région connaît tellement d’autres problèmes, de l’Irak au Liban », souligne un diplomate qui reconnaît une certaine « fatigue » face au dossier.
« Notre problème, explique un diplomate arabe, n’est pas que la France ait développé de bonnes relations avec Israël. Au contraire... Mais elle ne s’en sert pas pour faire avancer le processus de paix. » Et, en fait, le problème palestinien a désormais été relégué au dernier rang de l’ordre du jour du dialogue bilatéral. Paris, bien sûr, maintient ses positions de principe sur la création d’un Etat palestinien indépendant, mais cela a-t-il encore une importance ?
La construction du tramway de Jérusalem illustre les nouvelles priorités de la France. Deux entreprises (Alstom (6) et Connex) ont emporté l’appel d’offres pour ce projet. Seul détail gênant, son itinéraire passe par des territoires occupés : il relie Jérusalem-Ouest à deux colonies juives de Jérusalem-Est, Psgat Zeev et French Hill, que Paris estime, jusqu’à preuve du contraire, « illégales ». Interrogée par un député, Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, explique : « L’Etat français ne dispose d’aucun pouvoir d’injonction ou de contrainte lui permettant d’amener les entreprises françaises qui ont participé à un appel d’offres international à se retirer d’un marché... »
Pure langue de bois. D’une part, le gouvernement ne s’est jamais privé de « conseiller » à des entreprises de renoncer à des projets (il l’a fait encore récemment en interdisant à Total de conclure des accords avec la Syrie) (lire « La voix brouillée de la France »). D’autre part, le contrat a été signé, le 17 juillet 2005, en présence de l’ambassadeur de France, M. Araud, et dans les bureaux du premier ministre Sharon. Le bulletin de l’ambassade de France salue la « cérémonie officielle » de signature.
Dans un discours prononcé à Herzliya, le 16 décembre 2004, M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, salue l’investissement français dans le tramway : « Il n’y a pas, je crois, de meilleure illustration de l’intensité de notre coopération. » Dans la même allocution, il est vrai, M. Sarkozy évoquait le combat commun mené par « nos soldats » en 1956, lors de la triste expédition coloniale contre l’Egypte de Nasser pour « récupérer » le canal de Suez, combat qui se poursuit grâce à l’action de « nos services de renseignement »...
Dans cet infléchissement, la volonté de se rapprocher des Etats-Unis, qui lancent une grande campagne dès 2002 sur « La France, pays antisémite », a aussi lourdement pesé. Les dirigeants et les responsables de plusieurs partis politiques vont chercher à se dédouaner et à obtenir la caution des grandes organisations juives américaines. Lors de son voyage à New York, en septembre 2003, le président Chirac se fait accompagner par des représentants d’organisations juives françaises pour rencontrer leurs homologues américains.
Ces organisations ne se privent d’ailleurs pas d’intervenir directement en France et d’y exporter leur savoir-faire. Ainsi l’Union des patrons et des professionnels juifs de France (UPJF) reçoit-elle une aide matérielle de l’American Jewish Congress, qui avait appelé au boycottage du Festival de Cannes en mai 2002. Connue pour ses positions extrémistes, l’UPJF – à la création de laquelle a participé la secrétaire d’Etat aux droits des vicitimes Nicole Guedj – a tenu le 30 mars 2006 un dîner de gala en présence du député UMP Eric Raoult, du socialiste Julien Dray et du chef de cabinet de M. Sarkozy, à qui a été décerné le prix de l’homme politique de l’année (7). « Nous assistons à une communautarisation de la politique étrangère française », s’inquiète un diplomate.
Ainsi, l’American Jewish Committee a organisé un voyage d’une vingtaine de députés français en Israël, conduits par M. François Fillon, proche conseiller de M. Sarkozy. A l’issue d’entretiens avec les participants, l’agence Guysen Israel News notait que ce qui avait frappé le plus est qu’« Israël et la France – en tant que démocraties parlementaires – sont dans une même position face à l’islam ( ».
Quatre raisons, très différentes, contribuent donc à l’inflexion de la politique française. Une volonté de se rapprocher des Etats-Unis ; une « fatigue » à l’égard de la « cause palestinienne », dont on oublie qu’elle est au cœur de tous les affrontements au Proche-Orient ; la conviction que « nous » faisons face, avec Israël, à un même ennemi, l’islam ; enfin, une volonté de gagner les bonnes grâces de la communauté juive organisée (qui ne représente qu’une minorité des juifs de France), au risque d’accréditer l’idée d’un « lobby juif » et d’alimenter un antisémitisme déjà bien réel.
Alain Gresh.
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/06/GRESH/13522