Les façades banales de l'esclavage moderne
LE MONDE | 31.08.06
ARLES ENVOYÉE SPÉCIALE
Un immeuble cossu sur les Champs-Elysées, un pavillon bordé de pelouse, une tour HLM de banlieue... Ces photos d'habitations franciliennes, exposées aux Rencontres photographiques d'Arles, pourraient figurer dans un catalogue d'annonces immobilières. D'autant que le photographe, Raphaël Dallaporta, a capturé ces bâtiments d'une façon frontale et distancée, évacuant les humains pour accentuer l'anonymat des façades.
Derrière ces fenêtres ordinaires, l'atroce s'est tapi. Sur ces lieux, de jeunes étrangères, esclaves des temps modernes, ont été exploitées, parfois battues, par des employeurs sans scrupule. Des textes signés Ondine Millot, accrochés en regard des images, donnent le ton. "Pendant quatre ans, de 1994 à 1998, Henriette a travaillé douze heures par jour, sept jours sur sept. Elle a dormi par terre, sur une natte, dans la chambre des enfants, se relevant la nuit pour donner les biberons au bébé. Sa nourriture : une boîte de corn flakes par mois, et "l'autorisation" de racler les restes dans les assiettes de la famille, après le repas." Après Henriette, 15 ans, viennent Yasmina, Aïna, Angha... les histoires se répètent et se ressemblent.
Raphaël Dallaporta, qui avait déjà exposé à Arles en 2004 un travail remarqué sur les mines antipersonnel, poursuit son oeuvre militante en collaborant avec le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM).
POINTER L'INDIFFÉRENCE
Chaque année, cette association reçoit près de 300 signalements concernant des "employées de maison" maintenues dans un état de servitude et d'isolement en France. Des jeunes filles auxquelles on avait fait miroiter des études et une vie meilleure, et qui se retrouvent privées de papiers et de salaire, corvéables à merci, enfermées dans l'appartement de leur "bienfaiteur".
La confrontation du banal (en images) et du sordide (en textes) fait la force du projet. Plutôt que de tourner son appareil vers les victimes, le photographe a choisi de le pointer sur l'indifférence générale qui leur permet de prospérer. Car dans la plupart de ces histoires, les voisins prétendent ne rien voir, ne rien dire. Il faut des mois, voire des années, avant que quelqu'un se décide à alerter la police. Or ces façades muettes, qui ne livrent aucun indice sur ce qui se trame à l'intérieur, pourraient être les nôtres, celles de nos voisins. Au regard apitoyé ou accusateur, Raphaël Dallaporta a préféré la distance et l'appel à la vigilance.
Esclavage domestique, Raphaël Dallaporta et Ondine Millot. Rencontres photographiques d'Arles
Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), sur Internet : www.esclavagemoderne.org.
Claire Guillot
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-808263@51-805497,0.html
LE MONDE | 31.08.06
ARLES ENVOYÉE SPÉCIALE
Un immeuble cossu sur les Champs-Elysées, un pavillon bordé de pelouse, une tour HLM de banlieue... Ces photos d'habitations franciliennes, exposées aux Rencontres photographiques d'Arles, pourraient figurer dans un catalogue d'annonces immobilières. D'autant que le photographe, Raphaël Dallaporta, a capturé ces bâtiments d'une façon frontale et distancée, évacuant les humains pour accentuer l'anonymat des façades.
Derrière ces fenêtres ordinaires, l'atroce s'est tapi. Sur ces lieux, de jeunes étrangères, esclaves des temps modernes, ont été exploitées, parfois battues, par des employeurs sans scrupule. Des textes signés Ondine Millot, accrochés en regard des images, donnent le ton. "Pendant quatre ans, de 1994 à 1998, Henriette a travaillé douze heures par jour, sept jours sur sept. Elle a dormi par terre, sur une natte, dans la chambre des enfants, se relevant la nuit pour donner les biberons au bébé. Sa nourriture : une boîte de corn flakes par mois, et "l'autorisation" de racler les restes dans les assiettes de la famille, après le repas." Après Henriette, 15 ans, viennent Yasmina, Aïna, Angha... les histoires se répètent et se ressemblent.
Raphaël Dallaporta, qui avait déjà exposé à Arles en 2004 un travail remarqué sur les mines antipersonnel, poursuit son oeuvre militante en collaborant avec le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM).
POINTER L'INDIFFÉRENCE
Chaque année, cette association reçoit près de 300 signalements concernant des "employées de maison" maintenues dans un état de servitude et d'isolement en France. Des jeunes filles auxquelles on avait fait miroiter des études et une vie meilleure, et qui se retrouvent privées de papiers et de salaire, corvéables à merci, enfermées dans l'appartement de leur "bienfaiteur".
La confrontation du banal (en images) et du sordide (en textes) fait la force du projet. Plutôt que de tourner son appareil vers les victimes, le photographe a choisi de le pointer sur l'indifférence générale qui leur permet de prospérer. Car dans la plupart de ces histoires, les voisins prétendent ne rien voir, ne rien dire. Il faut des mois, voire des années, avant que quelqu'un se décide à alerter la police. Or ces façades muettes, qui ne livrent aucun indice sur ce qui se trame à l'intérieur, pourraient être les nôtres, celles de nos voisins. Au regard apitoyé ou accusateur, Raphaël Dallaporta a préféré la distance et l'appel à la vigilance.
Esclavage domestique, Raphaël Dallaporta et Ondine Millot. Rencontres photographiques d'Arles
Comité contre l'esclavage moderne (CCEM), sur Internet : www.esclavagemoderne.org.
Claire Guillot
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3246,36-808263@51-805497,0.html