Chanson de résistance

Vu le contexte actuel libanais de résistance face à un oppresseur sans cesse plus sanguinaire, voici une chanson de résistance écrite par un groupe de musiciens turcs de gauche qui en connaissent un long morceau sur les méthodes fascistes.
La Turquie en est aux premiers rangs, c'est là aussi que la résistance est la plus farouche chez tout ceux qui refusent le nationalisme, l'assimilation et la terreur.


İşte buradayız (cliquer)

Lime lime edildik ölmedik
İşte buradayız şimdi burada
Sıkılı yumrukta saflardayız biz
İşte buradayız şimdi burada

Diri diri yakıldık ölmedik
İşte buradayız şimdi burada
Dirençte, inançta en öndeyiz biz
İşte buradayız şimdi burada

Topraklara verildik ölmedik
İşte buradayız şimdi burada
Onurda, umutta, kavgadayız biz
İşte buradayız şimdi burada

Öfke île dolu yüreğimizle
İşte buradayız şimdi burada
Ezipte geçeriz zalimleri biz
İşte buradayız şimdi burada



Nous voilà

On nous a mis en lambeaux, nous ne sommes pas morts,
Nous voilà, ici et maintenant,
Nous sommes dans les coups brutaux, chez les innocents,
Nous voilà, ici et maintenant.

On nous brûle vivants, nous ne sommes pas morts,
Nous voilà, ici et maintenant,
Dans la résistance, dans la confiance, nous sommes premiers,
Nous voilà, ici et maintenant.

On nous enterre, nous ne sommes pas morts,
Nous voilà, ici et maintenant,
Nous sommes dans la fierté, dans l'espoir, dans la lutte,
Nous voilà, ici et maintenant.

Avec nos coeurs emplis de colère,
Nous voilà, ici et maintenant,
C'est nous qui balayons les tyrans,
Nous voilà, ici et maintenant.

Heu ... c'est un chant scout ?

Les scouts, l'esprit "mouvement" en vue d'enfoncer des valeurs spirituelles et physiques dans la jeunesse d'un pays, ça fait assez à "droite".
Ici, c'est une groupe d'extrême-gauche turc (Yorum).

Chansons à tous ceux qui ont été écrasés par les fascistes : ceux des mouvements pro-kurdes, les gauchistes, les anarchistes, les objecteurs de conscience, les opposants, les prisonniers politiques qui sont encore des milliers alors que les conférences sur les vertus démocratiques de la Turquie se multiplient afin de conditionner les esprits à son adhésion.

Et les faucons rouges???

ceux des mouvements pro-kurdes, les gauchistes, les anarchistes, les objecteurs de conscience, les opposants, les prisonniers politiques qui sont encore des milliers

Ca fait beaucoup de monde pour accoucher d'un texte aussi faible et mal torché ...

Yorum "représente" l'extrême-gauche essentiellement.

En français, on passe à côté de certaines choses ; en turc, il y a les allitérations, le jeu des vers répétés, les parallélismes, l'emphase sur l'ordre des mots, la sémantique, les référentiels évidents pour le turc quidam de gauche.


Un exemple d'allitération/consonnance dans le premier vers :


Allitération sur le "l" :

"Lime lime edildik ölmedik"


Allitération sur le groupe "di" :

"Lime lime edildik ölmedik"


Consonnance du i évidemment :

"Lime lime edildik ölmedik"



Champ référentiel
e.g. il est évident pour n'importe qui écoutant Yorum qu'il y a une référence permanente à la torture dans ce texte et aux crimes de l'armée/l'Etat.


lime edildik = on nous a déchiré (litt.)
réf : à la torture systématique, au fouet, aux instruments...


Après la torture...


diri yakıldık = on nous a brûlé vivants
réf : aux assauts des prisons où les forces de police ont utilisé des gaz toxiques contre les grevistes de la faim.


Résultat de l'assaut du 26 septembre 1999 par les forces de police.


topraklara verildik = on nous donne à la terre (litt.)

"toprak" [la terre] réfère toujours au deuil en poésie turque, c'est une évocation de l'inhumation.
réf : tous les morts commis par l'armée en Turquie, il y a à peine dix ans et ceux commis depuis.


un gréviste de la faim après l'assaut du 26 septembre 1999

A chaque fois, le vers se termine par ölmedik, "nous ne sommes pas morts". C'est une manière de dire, "ils peuvent nous torturer, nous brûler, nous tuer, ils n'auront jamais notre âme".
Ce genre d'allégorie existe aussi en français.


Ezipte geçeriz zalimleri biz = C'est nous qui balayons les tyrans
réf: l'activité clandestine d'extrême-gauche ou pro-kurde qui ont mené des actions de représailles contre certains bourreaux.

Certains tortionnaires protégés par l'Etat, les oeillères des nationalistes, le manque de justice généralisé ont été retrouvé par la mouvance clandestine et ont pris une balle dans la tête.
Dans un pays où ils sont la seule justice, ils ont un capital-sympathie certain.


Ce sont autant de références qui sont dites entre paranthèses. Yorum a un public en Turquie, ils ont fêté leur 20ème anniversaire l'année passée, ils ont fait un grand concert à İstanbul mais ils sont toujours très mal vus par le pouvoir. Certains des membres ont subi ce qu'ils chantent.
Ils font donc ce que tous les artistes subversifs ont fait dans l'histoire : ils dénoncent subtilement sans référence précise (sans comparaison, pensez aux poèmes de de La Fontaine avec des animaux qui sont une satire de la société monarchique).
On peut encore ajouter un autre élément subversif. Si vous écoutez la chanson, vous rendrez compte qu'il y a un petit instrument à vent, une sorte de bombarde. Je suis pas tout à fait sûr mais je pense que c'est une zurna, une sorte de petite flûte typiquement kurde. En tous cas, ce qui est sûr, c'est que c'est un instrument régional.
Ils font partie de ces groupes qui mettent à l'avant-plan les instruments et le mode de chanson régionale. On peut le voir comme une réaction contre l'Occidentalisme forcé voulu par le kémalisme, une manière de mettre en avant la diversité anatolienne alors que les nationalos crient à l'homogénéisation.
Dans une simple chanson, il y a énormément de choses en fait.
Pour n'importe quel turc de l'opposition, il est impossible de ne pas comprendre les références que contiennent cette chanson qui est sur l'avant-dernière album de GrupYorum.
Je rappelle que je ne suis pas Turc et que par conséquent, je peux comprendre que cela puisse paraître opaque chanté comme ça.