lundi, 28 mai 2007
Entretien Jean-François Kahn pour Israel magazine par David Reinharc
Jean-François Kahn, rédacteur de l’hebdomadaire Marianne, n’a pas été élevé dans le Judaïsme et a repris son identité juive en réaction à l’antisémitisme. Il livre son analyse de la société actuelle. Parcours d’un libre penseur.
Vous avez été élevé en dehors de toute référence à l’origine juive de votre père. Vous ne revendiquez pas votre judéité.Nommer, c’est se donner un destin : pourquoi alors avoir reconquis le patronyme originel de votre père ?
- Jean-François Kahn : Mon père est d’origine juive, ma mère est catholique, d’origine bourguignonne. Et la mère de mon père était elle même d’origine italienne et catholique. J’ai donc, pour reprendre une expression usuelle, un quart de sang juif. Au sens de la loi juive, c’est la matrilinéarité qui prime. Deuxième chose : mon père était juif et résistant, nous avions donc deux raisons de nous cacher. Mes parents m’ont fait baptisé, je suis donc catholique. Et j’ai changé de nom, dés l’arrivée des régimes fascistes. Ayant vécu toute ma jeunesse sous le nom de Ferriot, en tant qu’ enfant catholique, je n’ai jamais été confronté à cette identité ni à l’antisémitisme qui aurait pu me conforter dans cette identité. J’ajoute qu’à la sortie de la guerre, il y eut une double volonté. On a coutume de dire qu’il y eut après-guerre une volonté de minimiser l’ampleur de la Shoah et il aurait fallu attendre trente ou quarante ans pour donner toute son ampleur à l’Holocauste. La vérité est que les premiers camps libérés furent ceux de Dachau et Buchenwald, et de ces camps de concentration – à l’inverse des camps d’extermination comme Treblinka ou Sobibor – des gens sont revenus ; par conséquent, le premier contact que nous avons eu avec ceux qui sortaient des camps, ce fut, pour une majorité avec des résistants ou des communistes. De surcroît, ces derniers furent instrumentalisés par le Parti. On a donc, c’est vrai, minimisé la figure juive dans l’épopée du camp de concentration. A partir de 47-48, j’ai pris conscience que mon père et ma famille paternelle étaient juifs. Or, obsession de la plupart des juifs, à l’époque, parce qu’ils avaient été sortis de la communauté nationale en tant que juif, était de s’y réintégrer à tout prix. On a relativisé la spécificité totale et le martyr dont les Juifs furent victimes, mais moins qu’une preuve d’antisémitisme, il s’agissait tout au contraire d’un consensus national pour répondre au fait que les Juifs avaient été désignés en... ne les désignant plus. Alors, oui, j’ai vécu dans cette atmosphère où se désigner comme Juif, c’était faire le jeu des antisémites, puisqu’on avait été victime de cette nomination. Cela dit, lorsque je fus en école privée, dans ce milieu de la grande bourgeoisie française, j’ai commencé à entendre des réflexions antisémites fortes et alors, comme mes frères, j’ai décidé de reprendre mon identité.
Comment expliquez vous aujourd’hui qu’après avoir occulté leur judéité et penser avoir trouvé leur Jérusalem en France, les ex-israélites qui avaient déposé l’assimilation dans la corbeille de noces, cherchent aujourd’hui’ hui à s’émanciper de l’Emancipation ?
- Jean-François Kahn : On est passé, en dix ans, du discours : on a été désigné comme juif et sous l’impulsion de cette nomination, nous connurent la malédiction de ne plus être considéré comme Français à on a souffert comme juifs, il n’y aucune raison que nous ne revendiquions pas cette judéité. Cette réapropriation du signifiant juif n’eut pas lieu dans un cadre communautariste. Dix ans après encore, il y eut le choc de 67, et ce phénomène d’identification en tant que Juifs fut le début d’une troisième phase. Quatrième phase : c’est l’arrivée des Juifs d’Afrique du Nord, des Juifs chassés par les Arabes : leur identification avec les Israéliens est, par conséquent, d’autant plus forte. Dernière phase : le développement du communautarisme en général, et dans ce contexte, le communautarisme juif se renforce, dans le même temps. Les Juifs prennent conscience, après avoir joué un rôle essentiel dans tous les domaines, qu’une autre communauté va jouer un rôle plus fondamentale qu’elle. Le poids – y compris comme lobby ou force de pression – de la communauté musulmane a créé un raidissement dans la communauté juive française considérable. Il y a encore dix ans le projet de Sarkozy de mettre en place un Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale aurait provoqué une véritable levée de boucliers. Mais les Juifs aujourd’hui acceptent eux mêmes que contre cette menace musulmane, il faut défendre l’identité nationale dont ils se réclament.
Le nouvel antisémitisme, au nom de l’universalisme et de l’anti-racisme, ne vient-il pas aussi des milieux gauchistes qui assimilent la figure du Palestinien au Christ ?
- Jean-François Kahn : D’abord, dans l’histoire de l’antisémitisme, il y eut l’antisémitisme chrétien : on le voit au moment de l’Affaire Dreyfus. Le deuxième est l’antisémitisme contre-révolutionnaire : les Juifs- avec les Francs-maçons et les Protestants-sont à l’origine de la Révolution Française qui a détruit l’unité de la race. Ensuite, s’est greffé l’antisémitisme nationaliste : les Juifs sont des Allemands, ce sont des étrangers. Tout cela a créé un antisémitisme profondément réactionnaire. Il y a eu aussi un antisémitisme, né dans les cercles blanquistes et socialistes : l’anticapitalisme débouchant sur la dénonciation du Juif comme capitaliste. Les deux courants progressiste et réactionnaire ont fusionné pour donner l’antisémitisme fasciste. Cette fusion s’est faite sur l’idée que les Juifs ont fait la Révolution d’Octobre. Il ne faut pas confondre cela avec les retombées du conflit israélo-palestinien. D’abord, l’extrême-gauche se nie comme antisémite : ils prétendent qu’il s’agit de la seule solidarité avec le peuple palestinien. Il y a des passerelles, de toute évidence, mais c’est un problème spécifique.
L’extrême-droite se nie aussi, officiellement du moins, comme antisémite...
- Jean-François Kahn : En privé, Le Pen assume son antisémitisme tandis que l’extrême gauche niera son antisémitisme en convoquant l’anti impérialisme, la solidarité avec un peuple opprimé. Cela réveille en réalité un autre mécanisme mental : l’assimilation du Juif au capitaliste. Israël opprime le peuple palestinien, Israël est soutenu par l’Amérique qui elle même est aux mains du grand capitalisme juif : on retrouve, oui, le vieil antisémitisme blanquiste. Ils sont antisémites, je le pense, mais ils ne l’assument pas.
On a entendu à Durban, au nom de la solidarité avec les peuples opprimés : « Un Juif, une balle »
- Jean-François Kahn : Au niveau mondial, il y a une extrême-gauche totalement antisémite, notamment dans le monde arabe. Mais l’extrême-gauche occidental ne s’assume pas comme antisémite.
Tarik Ramadan au Forum des altermondialistes, n’est-ce pas l’union de toutes les extrêmes gauches avec un islamisme conquérant, assimilé au nouveau prolétariat ?
- Jean-François Kahn : Le discours anti impérialiste débouche sur : les ennemis de nos ennemis – Israël et l’Amérique- sont nos amis. Ceux qui luttent contre l’horreur américaine, bushiste, sioniste, c’est Ramadan, les islamistes : on fait un bout de chemin avec eux puisque nous avons les mêmes ennemis. Cette logique a toujours existé : il y eut des Juifs à l’OAS et plus récemment, Philippe de Villiers a, à la manifestation en mémoire d’Ilan Halimi, fut bien accueilli par la communauté. On vit une époque épouvantable, comme au temps du stalinisme, où de part et d’autre, on a un ennemi qu’il faut combattre à tout prix et des nouvelles alliances se nouent au nom de : les ennemis de mes ennemis sont mes amis.
En ce qui concerne l’antisémitisme d’extrême-gauche occidental, il ne s’agit pas seulement d’une critique de la politique de l’Etat Juif...
- Jean-François Kahn : Ce que vous désignez là est juste mais concerne une partie de l’extrême-gauche. Une autre partie, ultra libertaire, autour de Caroline Fourest et Charlie Hebdo, est à l’avant-garde du combat pour la laïcité, contre l’islamisme et ses complices, contre tout discours pro palestinien qui débouche sur l’antisémitisme. Il existe une tendance au Monde Diplomatique avec notamment des universitaires orientalistes qui assume cet anti-israélisme radical. Mais dans l’entre-deux, vous avez une extrême-gauche au discours ambigu qui, pour autant, ne remet pas en cause l’existence d’Israël. Et puis, à la tête du Monde Diplomatique, il y a aussi une forte tendance laïque et républicaine. Celle de l’ancienne direction d’Attac.
N’assiste t-on pas, dans nos banlieues comme dans le village global, au seul choc des civilisations qui tienne, celui de deux islams, le radical contre le modéré ?
- Jean-François Kahn : Je pense qu’il y a des musulmans athées – se définissant comme musulmans modérés - , des musulmans profondément démocrates et républicains. Mais ils sont modérés parce qu’ils ont pris de grandes distances avec la dogmatique islamique. Mais dés lors qu’il s’agit de musulmans qui adhèrent à la doctrine musulmane, je dirais qu’il n’y a pas de musulmans modérés. La majorité des musulmans sont non radicaux et non violents mais dés lors qu’ils adhèrent à la communauté musulmane, ils adhèrent à un dogme intégriste. L’islam est profondément intégriste aujourd’hui. Le catholicisme était lui même intégriste dans la dernière partie du XIXe. L’islam est intrinsèquement intégriste, il n’a pas fait sa Révolution des Lumières ; cela n’empêche pas que des millions de musulmans peuvent participer de façon active au combat pour l’émancipation et la liberté. Il faut constituer un front commun avec les musulmans démocrates et humanistes, sinon l’islamisme vaincra. Ne pas oublier l’héroïsme inouïe des femmes algériennes pour résister, contre vents et marée, à la pression intégriste.
Philosophiquement, les valeurs judéo-chrétiennes vous semblent-elles supérieures aux autres ?
- Jean-François Kahn : Je considère que les valeurs supérieures sont par définition universelles. Et je pense qu’on peut les défendre dans tous les pays du monde. Cela dit, je pense que les valeurs qui sont le fruit des civilisations pour lesquels ont travaillé des intellectuels, sont morts des démocrates, ces principes fruits de l’humanisme, des Lumières, du combat pour la démocratie et la laïcité, oui, ces valeurs sont absolument supérieures. Ceux qui font la liaison entre un soit disant progressisme gauchiste et l’islamisme récusent cette idée que ces valeurs sont supérieurs et sont dans un relativisme total. Et je réprouve totalement cette position là.
Les euros portent une histoire : d’un côté, l’architecture des portes et des porches, de l’autre celle des ponts. Afin de se sauver de la violence sérieuse des idéologies, l’islam ne doit-il pas, pour s’intégrer à l’Europe, accepter cette symbolique de l’ouverture à l’autre et la dimension de passerelle constitutive de tout européen ?
- Jean-François Kahn : Pour intégrer l’Europe, il faut faire l’effort de s’intégrer soi même aux valeurs constitutives de l’Europe, en particulier les valeurs démocratiques et – c’est essentiel- la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Entretien Jean-François Kahn pour Israel magazine par David Reinharc
Jean-François Kahn, rédacteur de l’hebdomadaire Marianne, n’a pas été élevé dans le Judaïsme et a repris son identité juive en réaction à l’antisémitisme. Il livre son analyse de la société actuelle. Parcours d’un libre penseur.
Vous avez été élevé en dehors de toute référence à l’origine juive de votre père. Vous ne revendiquez pas votre judéité.Nommer, c’est se donner un destin : pourquoi alors avoir reconquis le patronyme originel de votre père ?
- Jean-François Kahn : Mon père est d’origine juive, ma mère est catholique, d’origine bourguignonne. Et la mère de mon père était elle même d’origine italienne et catholique. J’ai donc, pour reprendre une expression usuelle, un quart de sang juif. Au sens de la loi juive, c’est la matrilinéarité qui prime. Deuxième chose : mon père était juif et résistant, nous avions donc deux raisons de nous cacher. Mes parents m’ont fait baptisé, je suis donc catholique. Et j’ai changé de nom, dés l’arrivée des régimes fascistes. Ayant vécu toute ma jeunesse sous le nom de Ferriot, en tant qu’ enfant catholique, je n’ai jamais été confronté à cette identité ni à l’antisémitisme qui aurait pu me conforter dans cette identité. J’ajoute qu’à la sortie de la guerre, il y eut une double volonté. On a coutume de dire qu’il y eut après-guerre une volonté de minimiser l’ampleur de la Shoah et il aurait fallu attendre trente ou quarante ans pour donner toute son ampleur à l’Holocauste. La vérité est que les premiers camps libérés furent ceux de Dachau et Buchenwald, et de ces camps de concentration – à l’inverse des camps d’extermination comme Treblinka ou Sobibor – des gens sont revenus ; par conséquent, le premier contact que nous avons eu avec ceux qui sortaient des camps, ce fut, pour une majorité avec des résistants ou des communistes. De surcroît, ces derniers furent instrumentalisés par le Parti. On a donc, c’est vrai, minimisé la figure juive dans l’épopée du camp de concentration. A partir de 47-48, j’ai pris conscience que mon père et ma famille paternelle étaient juifs. Or, obsession de la plupart des juifs, à l’époque, parce qu’ils avaient été sortis de la communauté nationale en tant que juif, était de s’y réintégrer à tout prix. On a relativisé la spécificité totale et le martyr dont les Juifs furent victimes, mais moins qu’une preuve d’antisémitisme, il s’agissait tout au contraire d’un consensus national pour répondre au fait que les Juifs avaient été désignés en... ne les désignant plus. Alors, oui, j’ai vécu dans cette atmosphère où se désigner comme Juif, c’était faire le jeu des antisémites, puisqu’on avait été victime de cette nomination. Cela dit, lorsque je fus en école privée, dans ce milieu de la grande bourgeoisie française, j’ai commencé à entendre des réflexions antisémites fortes et alors, comme mes frères, j’ai décidé de reprendre mon identité.
Comment expliquez vous aujourd’hui qu’après avoir occulté leur judéité et penser avoir trouvé leur Jérusalem en France, les ex-israélites qui avaient déposé l’assimilation dans la corbeille de noces, cherchent aujourd’hui’ hui à s’émanciper de l’Emancipation ?
- Jean-François Kahn : On est passé, en dix ans, du discours : on a été désigné comme juif et sous l’impulsion de cette nomination, nous connurent la malédiction de ne plus être considéré comme Français à on a souffert comme juifs, il n’y aucune raison que nous ne revendiquions pas cette judéité. Cette réapropriation du signifiant juif n’eut pas lieu dans un cadre communautariste. Dix ans après encore, il y eut le choc de 67, et ce phénomène d’identification en tant que Juifs fut le début d’une troisième phase. Quatrième phase : c’est l’arrivée des Juifs d’Afrique du Nord, des Juifs chassés par les Arabes : leur identification avec les Israéliens est, par conséquent, d’autant plus forte. Dernière phase : le développement du communautarisme en général, et dans ce contexte, le communautarisme juif se renforce, dans le même temps. Les Juifs prennent conscience, après avoir joué un rôle essentiel dans tous les domaines, qu’une autre communauté va jouer un rôle plus fondamentale qu’elle. Le poids – y compris comme lobby ou force de pression – de la communauté musulmane a créé un raidissement dans la communauté juive française considérable. Il y a encore dix ans le projet de Sarkozy de mettre en place un Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale aurait provoqué une véritable levée de boucliers. Mais les Juifs aujourd’hui acceptent eux mêmes que contre cette menace musulmane, il faut défendre l’identité nationale dont ils se réclament.
Le nouvel antisémitisme, au nom de l’universalisme et de l’anti-racisme, ne vient-il pas aussi des milieux gauchistes qui assimilent la figure du Palestinien au Christ ?
- Jean-François Kahn : D’abord, dans l’histoire de l’antisémitisme, il y eut l’antisémitisme chrétien : on le voit au moment de l’Affaire Dreyfus. Le deuxième est l’antisémitisme contre-révolutionnaire : les Juifs- avec les Francs-maçons et les Protestants-sont à l’origine de la Révolution Française qui a détruit l’unité de la race. Ensuite, s’est greffé l’antisémitisme nationaliste : les Juifs sont des Allemands, ce sont des étrangers. Tout cela a créé un antisémitisme profondément réactionnaire. Il y a eu aussi un antisémitisme, né dans les cercles blanquistes et socialistes : l’anticapitalisme débouchant sur la dénonciation du Juif comme capitaliste. Les deux courants progressiste et réactionnaire ont fusionné pour donner l’antisémitisme fasciste. Cette fusion s’est faite sur l’idée que les Juifs ont fait la Révolution d’Octobre. Il ne faut pas confondre cela avec les retombées du conflit israélo-palestinien. D’abord, l’extrême-gauche se nie comme antisémite : ils prétendent qu’il s’agit de la seule solidarité avec le peuple palestinien. Il y a des passerelles, de toute évidence, mais c’est un problème spécifique.
L’extrême-droite se nie aussi, officiellement du moins, comme antisémite...
- Jean-François Kahn : En privé, Le Pen assume son antisémitisme tandis que l’extrême gauche niera son antisémitisme en convoquant l’anti impérialisme, la solidarité avec un peuple opprimé. Cela réveille en réalité un autre mécanisme mental : l’assimilation du Juif au capitaliste. Israël opprime le peuple palestinien, Israël est soutenu par l’Amérique qui elle même est aux mains du grand capitalisme juif : on retrouve, oui, le vieil antisémitisme blanquiste. Ils sont antisémites, je le pense, mais ils ne l’assument pas.
On a entendu à Durban, au nom de la solidarité avec les peuples opprimés : « Un Juif, une balle »
- Jean-François Kahn : Au niveau mondial, il y a une extrême-gauche totalement antisémite, notamment dans le monde arabe. Mais l’extrême-gauche occidental ne s’assume pas comme antisémite.
Tarik Ramadan au Forum des altermondialistes, n’est-ce pas l’union de toutes les extrêmes gauches avec un islamisme conquérant, assimilé au nouveau prolétariat ?
- Jean-François Kahn : Le discours anti impérialiste débouche sur : les ennemis de nos ennemis – Israël et l’Amérique- sont nos amis. Ceux qui luttent contre l’horreur américaine, bushiste, sioniste, c’est Ramadan, les islamistes : on fait un bout de chemin avec eux puisque nous avons les mêmes ennemis. Cette logique a toujours existé : il y eut des Juifs à l’OAS et plus récemment, Philippe de Villiers a, à la manifestation en mémoire d’Ilan Halimi, fut bien accueilli par la communauté. On vit une époque épouvantable, comme au temps du stalinisme, où de part et d’autre, on a un ennemi qu’il faut combattre à tout prix et des nouvelles alliances se nouent au nom de : les ennemis de mes ennemis sont mes amis.
En ce qui concerne l’antisémitisme d’extrême-gauche occidental, il ne s’agit pas seulement d’une critique de la politique de l’Etat Juif...
- Jean-François Kahn : Ce que vous désignez là est juste mais concerne une partie de l’extrême-gauche. Une autre partie, ultra libertaire, autour de Caroline Fourest et Charlie Hebdo, est à l’avant-garde du combat pour la laïcité, contre l’islamisme et ses complices, contre tout discours pro palestinien qui débouche sur l’antisémitisme. Il existe une tendance au Monde Diplomatique avec notamment des universitaires orientalistes qui assume cet anti-israélisme radical. Mais dans l’entre-deux, vous avez une extrême-gauche au discours ambigu qui, pour autant, ne remet pas en cause l’existence d’Israël. Et puis, à la tête du Monde Diplomatique, il y a aussi une forte tendance laïque et républicaine. Celle de l’ancienne direction d’Attac.
N’assiste t-on pas, dans nos banlieues comme dans le village global, au seul choc des civilisations qui tienne, celui de deux islams, le radical contre le modéré ?
- Jean-François Kahn : Je pense qu’il y a des musulmans athées – se définissant comme musulmans modérés - , des musulmans profondément démocrates et républicains. Mais ils sont modérés parce qu’ils ont pris de grandes distances avec la dogmatique islamique. Mais dés lors qu’il s’agit de musulmans qui adhèrent à la doctrine musulmane, je dirais qu’il n’y a pas de musulmans modérés. La majorité des musulmans sont non radicaux et non violents mais dés lors qu’ils adhèrent à la communauté musulmane, ils adhèrent à un dogme intégriste. L’islam est profondément intégriste aujourd’hui. Le catholicisme était lui même intégriste dans la dernière partie du XIXe. L’islam est intrinsèquement intégriste, il n’a pas fait sa Révolution des Lumières ; cela n’empêche pas que des millions de musulmans peuvent participer de façon active au combat pour l’émancipation et la liberté. Il faut constituer un front commun avec les musulmans démocrates et humanistes, sinon l’islamisme vaincra. Ne pas oublier l’héroïsme inouïe des femmes algériennes pour résister, contre vents et marée, à la pression intégriste.
Philosophiquement, les valeurs judéo-chrétiennes vous semblent-elles supérieures aux autres ?
- Jean-François Kahn : Je considère que les valeurs supérieures sont par définition universelles. Et je pense qu’on peut les défendre dans tous les pays du monde. Cela dit, je pense que les valeurs qui sont le fruit des civilisations pour lesquels ont travaillé des intellectuels, sont morts des démocrates, ces principes fruits de l’humanisme, des Lumières, du combat pour la démocratie et la laïcité, oui, ces valeurs sont absolument supérieures. Ceux qui font la liaison entre un soit disant progressisme gauchiste et l’islamisme récusent cette idée que ces valeurs sont supérieurs et sont dans un relativisme total. Et je réprouve totalement cette position là.
Les euros portent une histoire : d’un côté, l’architecture des portes et des porches, de l’autre celle des ponts. Afin de se sauver de la violence sérieuse des idéologies, l’islam ne doit-il pas, pour s’intégrer à l’Europe, accepter cette symbolique de l’ouverture à l’autre et la dimension de passerelle constitutive de tout européen ?
- Jean-François Kahn : Pour intégrer l’Europe, il faut faire l’effort de s’intégrer soi même aux valeurs constitutives de l’Europe, en particulier les valeurs démocratiques et – c’est essentiel- la séparation de l’Eglise et de l’Etat.