C’est bien gentil de réclamer ma prose intelligente et parfois posée, mais j’ai d’autres contingences dans la vie que mon pc (famille, amis, travail) donc je ne peux maintenir une présence 24/7 sur le net comme certains d’entre vous.
Mais puisque c’est si gentiment demandé, et comme l’histoire des libertés est l’une de mes marottes, je vais vous expliquer par le menu pourquoi le principe des procès internationaux était critiquable et critiqué.
Commençons par la menu : qu’est-ce que la démocratie ? A la grosse louche, trois éléments : (i) le premier élément est celui qui dans la culture populaire efface typiquement les suivants, il s’agit de l’élément politique, la participation des citoyens à la vie publique ; (ii) le second élément est aussi important que le premier, ce sont les libertés publiques, les droits en somme : égalité, procès équitable, liberté de parole, etc. ; et (iii) le troisième élément est la justice indépendante. Notes que ces trois éléments sont interdépendants.
L’imagerie populaire retient souvent Athènes comme mère de la démocratie, et s’il est vrai que la participation de certains citoyens (des citoyens, en fait) à la vie publique a existé à certaines époques (la boulè et l’ecclesia etc.), c’est en Angleterre qu’il faut chercher les prémisses des trois pouvoirs et des trois éléments constitutifs de l’organisation démocratique occidentale cités ci-dessus.
En 1215, le roi Jean sans terre fut obligé par les barons de signer un des plus important documents de l’histoire de l’humanité : la Magna Carta.
Cette Magna Carta est le germe des libertés publiques et de la défense du citoyen contre l’arbitraire de l’état et du système. Elle porte en elle le principe de la « rule of law », càd la soumission du pouvoir royal à la loi (sous-entendu définie par d’autres personnes que le roi, donc un pouvoir législatif contre un pouvoir exécutif) et d’un autre principe qui sera connu et confirmé plus tard sous le nom d’Habeas corpus, ce que l’on appellera aux USA le « due process of law », le droit de n’être attrait emprisonné que pour une raison valable, donnée au moment de l’arrestation, avec le droit de se défendre.
Personne ne peut être attrait devant un tribunal sans une raison valable dit la Magna Carta.
D’autres textes viendront par la suite préciser l’étendue de ces droits (2 confirmations si je me rappelle bien, et la Petition of rights )
Quatre siècles plus tard, le principe est ciselé dans l’Habeas Corpus.
Habeas Corpus : « que tu aies ton corps ». « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelque manière que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays. »
C’est simple, clair, précis. Superbe.
[Quatre petits apartés trivial pursuit ici, sans rapport avec la question initiale :
- Une des conséquences de la Magna Carta était de soumettre le roi à la loi, et de l’empêcher, lui et les troupes royales, d’entrer dans le Londres des marchands sans leur autorisation. Ceux qui connaissent un peu Londres savent que l’on y distingue encore clairement, aujourd’hui, les trois Londres, le Londres royal, sur des terres appartenant toujours à la couronne, et dont les grands parcs sont en réalité les reliques des chasses royales allant des Royal Boroughs of Kensington and Chelsea à Holland Park et plus loin, la City, le quartier des marchands, sur lequel le roi ne pouvait pénétrer sans autorisation du Lord Maire, une parade annuelle dont le nom m’échappe commémore à ce moment ci-de l’année le renouvellement de l’autorisation donnée au roi par les marchands, et le Londres populaire, celui des docks, l’East End, qui se situait historiquement hors de l’enceinte romaine de la ville, qui commençait à hauteur de l’actuelle Roman Road.
- Je dis l’Angleterre, mais en réalité, les Paix de Fexhe et la Charte de Huy au XIième siècle portaient aussi les germes de principes similaires au niveau local, l’octroi de libertés aux communes et aux personnes, que l’on appellera les libertés communales. Cela n’a l’air de rien, mais les communes sont en Europe continentale le plus ancien modèle d’organisation démocratique populaire existant. Aux villes le seigneur devra bientôt demander l’autorisation d’entrer et de prélever l’impôt. Ceux qui ont bonne mémoire se souviennent des « joyeuses entrées » royales. Le sens de ces « joyeuses entrées » est de donner officiellement, légalement, le droit à un nouveau roi de pénétrer dans la ville.
- L’impôt. Une constante méconnue de l’histoire des libertés est la résistance du citoyen à l’impôt. La Magna Carta et toutes les chartes ou pétitions qui ont suivi, les paix et chartes continentales précitées ont toutes un point commun : à un moment, les citoyens ont dit au roi, à l'état, stop, on ne paye plus sauf si l'on reçoit des garanties et des droits. Plus proche de nous, les révolutions émancipatrices comme la révolution française et la révolution américaine résultent aussi de la résistance à l’impôt. C’est dans la résistance à l’impôt que sont nées les libertés publiques, les droits individuels. Contrairement à ce que pense la gauche gnangnan, résister à l’impôt de l’état est l’acte le plus originel et l’un des plus fondamentaux de la démocratie.
- Aux USA, l’Habeas Corpus est intégré à la Constitution dans ce que l’on appelle le Bill of Rights. En vertu de ce principe, un accusé doit être informé de ces droits et de la raison de son arrestation ; c’est la raison pour laquelle dans les films – et dans la réalité – on lit aux personnes arrêtées leurs droits : « Vous avez le droit de garder le silence… etc. » , voir n’importe quel Expert, CSI, etc. Dans les années 70, on a trouvé une nana couteau en main qui avait étripé sa famille. Elle avoue. Les flics l’embarquent et oublient de lui lire ses droits. L’affaire remonte à la Supreme Court. Elle a été libérée pour vice de procédure, c’est le célèbre arrêt Miranda.]
Ici, l’on fait un saut vers le continent. Je reviens en Angleterre en 1679 avec l’Habeas Corpus, et je passe en France révolutionnaire. Ces principes seront repris et précisés : refus de l’arrestation arbitraire, exigence d’un procès équitable, droit de la défense.
Mais que signifie un procès équitable ? Cela signifie des règles claires et préétablies. Les constitutions révolutionnaires européennes, dont la Constitution française et belge (l’originale était un texte magnifique au plan légal) vont incorporer deux nouvelles garanties précisant la notion de procès équitable, qui sont reprises – sauf erreur de ma part – dans les conventions de sauvegarde des droits de l’homme :
- Nullum crimens, nulla poena sine lege : pas de crime, pas de peine sans loi préalablement établie. Plus question de choper un mec, d’inventer une incrimination ou d’établir la peine de mort pour traversage hors des clous si cela plait au pouvoir en place.
- Pas de tribunaux spéciaux ou exceptionnels : une incrimination = un tribunal préétabli prononçant une peine prévue. Plus question de recourir à des tribunaux révolutionnaires aux méthodes expéditives.
Voilà pour l’histoire et les principes de base, qui sont important à la compréhension de ce qui suit. Notez bien que l’on parle d’une maturation sur des siècles. La démocratie, c’est comme le pétrole, faut du temps pour le faire et ça part vite en fumée.
Quand on s’est retrouvé avec des criminels nazis les bras pleins de cadavres et d’exécutions sommaires, on n’avait aucune règle, ou quasi, permettant de les juger.
Pas d’incrimination de « crime contre l’humanité » ou génocide, même pas de notion de ces concepts, qui seront littéralement créés à cette occasion.
Pas de tribunal compétent, sauf à faire passer les criminels nazis devant les tribunaux de chaque pays ayant supportés leurs méfaits.
Donc, on a mis en place un droit qui sera la racine du droit pénal international, des incriminations, et un tribunal.
Mais on a fait cela après la commission des faits. Donc littéralement, en violation directe et claire des principes dont je vous ai donné l’histoire ci-dessus.
Bien entendu, on a justifié ce tribunal et les règles en disant que les crimes avaient une telle importance que leur incrimination existe par leur nature même, parce qu’ils se situent hors de la sphère humaine. Ce sont des justifications plus boiteuses et pour la cause que légalement solides. Parce que légalement, on est sur le fil.
Est-ce à dire qu’il ne fallait pas juger ces criminels ? Non, bien entendu : la gravité des faits justifie le procès. Et la loi du vainqueur, comme le dit plus haut Hauteclaire, et la nécessité d’éduquer la postérité, justifient au moins de facto le tribunal de Nuremberg.
Mais…
Au moment ou le tribunal fut mis en place, des juristes participant à son élaboration soulevèrent l’objection. Des gens bien formés, dont l’idéal démocratique n’était pas discutable, au contraire, pas de sombres négationnistes comme notre andouille habituelle essaye encore d’insinuer. Des gens infiniment plus malins et plus cultivés que lui, en fait, (ce qui n’est pas difficile non plus).
Ces gens se sont assis sur les principes pour la cause, avec toutes les raisons valables que la Shoah leur donnait. Mais ils ont aussi dit : attention.
"Attention, on juge ces salauds mais on joue avec le feu. Attention de ne pas faire des petits pour la cause et sans l’effroyable justification que nous avons."
Pour pallier cela, on a mis en place des conventions et un tribunal pénal international à La Haye, qui bon an mal an donne la pleine justification à ces incriminations. Tout est rentré dans l’ordre. Par ailleurs, le négationnisme et le révisionnisme sont incriminés dans pas mal de pays, ce qui démontre que l’objection à Nuremberg n’était absolument pas critiquable sur ce plan. Mais…
Ici on ne parle pas de cela : ici, les USA ont refusé la compétence du tribunal pénal international, ont créé un droit pénal pour la cause, mélange de procédure US et égyptienne, et un tribunal « populaire » irakien pour la cause.
Des règles pour la cause, un tribunal pour la cause… Alors oui, il fallait juger Saddam Hussein, mais pas comme ça. Ici encore, la critique des principes sur lequel se fonde ce droit pénal international « pour la cause » prend tout son sens.