Voilà le nouveau spectacle de Sam Touzani qui prouve à lui tout seul qu'il est possible d'être d'origine maghrébine ET antiraciste, antisexiste, humaniste, laïque, critique à l'égard des religions et de l'islam en particulier, bref, quelqu'un d'éminemment sympathique :morelove:
Le monokini plus que le monothéisme
GUY DUPLAT
Mis en ligne le 03/10/2006
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Sam Touzani avec "Liberté, égalité, sexualité" prolonge son "one human show". Il raconte son épopée familiale, sans avoir peur des mots. Son idéal est cette société ouverte, qui promeut l'homme, celle du 0110.
TANGUY JOCKMANS
J'ai vécu dimanche sur la place des Palais à Bruxelles, avec les concerts 01 10, le plus beau jour de ma vie", explique Sam Touzani, la voix aphone après un tel week-end. Belge, Bruxellois des Marolles, d'origine berbère, il s'est battu toute sa vie pour l'émergence d'une société de tolérance et de multiculturalisme. Homme de gauche, laïque, il ne mâche pas ses mots, même si ses vérités sont mâtinées d'humour. "Je préfère le rire au repentir, le cul à la culpabilité et le monokini au monothéisme", dit-il. Tous ses spectacles ont fait éclater les mots et le "politiquement incorrect". Ses "One human show", "Gembloux" et "Allah superstar", ont tourné partout en Belgique et à l'étranger, jusqu'aux Antilles où Sam Touzani reste profondément ému d'avoir rencontré Aimé Césaire, son "idole" avec Franz Fanon.
Le public de Sam Touzani est le plus mélangé qui soit : immigré, belge, flamand, francophone, vieux, jeunes, ouvriers, bourgeois. Il n'est pas jusqu'aux co-producteurs de son nouveau spectacle qui témoignent de ce "mélange" : fait rarissime, un théâtre flamand, le KVS (où le spectacle est créé le 6 octobre et sera joué en français pendant 17 soirs) et un théâtre francophone, le théâtre royal de Namur (où il sera joué une semaine en janvier) se sont unis pour mettre sur pied, ce nouveau "One human show".
Nous avons rencontré Sam Touzani chez lui pour un spectacle très personnel, co-écrit avec Bernard Breuse de Transquinquennal et co-produit avec "la charge du Rhinocéros".
Votre nouveau spectacle fait suite à "one human show".
Oui, je continue à parler de mon épopée familiale et je parle de l'adolescence, des difficultés qu'on rencontre alors dans une société où il veut danser mais où il ne peut pas accéder à des lieux pourtant publics. Tout le monde est mal dans sa peau à cet âge-là. C'est aussi à cet âge que, soit on subit et on reste aliéné pour la suite, soit on résiste. Je suis aujourd'hui, le résultat de mes combats d'alors et de mes lectures.
Mon "malheur" d'alors a été une chance et m'a fait comprendre bien des choses. De fil en aiguille, je parle du fonctionnement du monde et je crée même une religion, puisque je remarque que tout est devenu religiosité. Le "touzanisme" a trois préceptes : liberté, égalité, sexualité.
Je continue à travailler sur la mémoire et l'identité. Comment en suis-je arrivé à être Sam Touzani ? Vais-je accepter ma nouvelle identité ? Il vaut mieux les accumuler que de jeter le bébé avec l'eau du bain. Et si l'eau du bain est un peu sale, c'est qu'on n'en a pas fini avec la "lutte des crasses".
Pourquoi avoir remplacé dans la devise révolutionnaire, fraternité par sexualité ?
Mais la sexualité est très fraternelle ! J'en parle car dans la culture maghrébine ou arabo-musulmane, cela reste par excellence, le sujet tabou. Il est tellement tabou qu'on ne parle que de cela. De ce point de vue, on pourrait même dire que l'Islam reste la religion la plus pornographique car tout y est sexualité inassouvie. On cache la femme, on cache le sexe, on cultive la haine du corps et donc le renoncement à soi-même. Notez que les trois religions monothéistes ont fait de même. Et on promet aux croyants 70 vierges dans l'au-delà.
N'est-ce pas plutôt la société capitaliste ambiante qui est devenue hautement sexualisée ?
Evidemment, le capitalisme sauvage rejoint souvent le fondamentalisme. Je suis un fan des livres de Noam Chomsky qui analyse parfaitement la société américaine sur ce point. Tout est aujourd'hui sexe et utilisation de l'image de la femme dans un but marchand. Cela crée chez les jeunes des idées tout à fait fausses. Je rencontre de nombreux jeunes partout. Savez-vous qu'en France, la deuxième cause du suicide des jeunes est de ne pas avoir su parler de cela avec leurs parents ? On a libéré le marché de la sexualité mais sans apprendre à communiquer.
Avez-vous vécu cela ?
Je suis un vrai belge, un marollien, un echte brusseleer et j'aime en Belgique ces contrastes du meilleur et du pire, de l'excellence et de la médiocrité. En France qui a trois longueurs de retard sur nous, il serait inimaginable d'avoir une femme comme Fadila Laanan, d'origine maghrébine, comme ministre de la culture ! Je n'ai pas pu jouer "Allah superstar" en France, à cause de l'affaire des caricatures et des émeutes dans les banlieues.
Ma famille est berbère venue du Rif, de Tanger.
Mon père aujourd'hui âgé de 80 ans, analphabète et quasi aveugle, ancien tirailleur marocain, avait une autorité suprême. Je dis souvent que s'il y a des grades dans l'armée et dans l'Eglise, chez moi, on était directement devant Dieu le père. Je pissais dans ma culotte devant lui. Mais j'ai eu aussi la chance de rencontrer un opposant, M. Baroudi, qui fut mon père spirituel. Je rends aussi hommage dans mon spectacle aux femmes, à ma mère et à ma soeur.
Vous parvenez à toucher tous les publics.
Je pars du particulier, avec l'humour en plus, pour tenter d'atteindre l'universel. Je suis un homme de mélanges. Je pense au pluriel, je vis au pluriel. Il m'est insupportable de cloisonner les choses. Mon idéal actuel est de me détacher de toutes les appartenances, que nous soyons à poil, comme être humain et qu'on puisse mettre l'homme et la femme au-dessus de tout. Plus jeune, je me prenais pour Che Guevera ou Gandhi. Je suis plus modeste aujourd'hui et je veux avant tout être aimable avec mon voisin de palier.
Mais comment ne pas me réjouir de ces concerts du 0110 sur la place des Palais à Bruxelles. C'était comme l'aboutissement de tous mes combats, de toute ma militance. Le mélange était là, celui qu'on passe son temps à nous cacher, comme on cache le sexe. Et brusquement, on le voit. Même s'il ne faut pas se leurrer et que cela ne changera pas immédiatement le vote des extrémistes. Mais c'est un signe positif qui montre que c'est la bêtise qui rend raciste. © La Libre Belgique 2006
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=5&subid=107&art_id=308544
Le monokini plus que le monothéisme
GUY DUPLAT
Mis en ligne le 03/10/2006
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Sam Touzani avec "Liberté, égalité, sexualité" prolonge son "one human show". Il raconte son épopée familiale, sans avoir peur des mots. Son idéal est cette société ouverte, qui promeut l'homme, celle du 0110.
TANGUY JOCKMANS
J'ai vécu dimanche sur la place des Palais à Bruxelles, avec les concerts 01 10, le plus beau jour de ma vie", explique Sam Touzani, la voix aphone après un tel week-end. Belge, Bruxellois des Marolles, d'origine berbère, il s'est battu toute sa vie pour l'émergence d'une société de tolérance et de multiculturalisme. Homme de gauche, laïque, il ne mâche pas ses mots, même si ses vérités sont mâtinées d'humour. "Je préfère le rire au repentir, le cul à la culpabilité et le monokini au monothéisme", dit-il. Tous ses spectacles ont fait éclater les mots et le "politiquement incorrect". Ses "One human show", "Gembloux" et "Allah superstar", ont tourné partout en Belgique et à l'étranger, jusqu'aux Antilles où Sam Touzani reste profondément ému d'avoir rencontré Aimé Césaire, son "idole" avec Franz Fanon.
Le public de Sam Touzani est le plus mélangé qui soit : immigré, belge, flamand, francophone, vieux, jeunes, ouvriers, bourgeois. Il n'est pas jusqu'aux co-producteurs de son nouveau spectacle qui témoignent de ce "mélange" : fait rarissime, un théâtre flamand, le KVS (où le spectacle est créé le 6 octobre et sera joué en français pendant 17 soirs) et un théâtre francophone, le théâtre royal de Namur (où il sera joué une semaine en janvier) se sont unis pour mettre sur pied, ce nouveau "One human show".
Nous avons rencontré Sam Touzani chez lui pour un spectacle très personnel, co-écrit avec Bernard Breuse de Transquinquennal et co-produit avec "la charge du Rhinocéros".
Votre nouveau spectacle fait suite à "one human show".
Oui, je continue à parler de mon épopée familiale et je parle de l'adolescence, des difficultés qu'on rencontre alors dans une société où il veut danser mais où il ne peut pas accéder à des lieux pourtant publics. Tout le monde est mal dans sa peau à cet âge-là. C'est aussi à cet âge que, soit on subit et on reste aliéné pour la suite, soit on résiste. Je suis aujourd'hui, le résultat de mes combats d'alors et de mes lectures.
Mon "malheur" d'alors a été une chance et m'a fait comprendre bien des choses. De fil en aiguille, je parle du fonctionnement du monde et je crée même une religion, puisque je remarque que tout est devenu religiosité. Le "touzanisme" a trois préceptes : liberté, égalité, sexualité.
Je continue à travailler sur la mémoire et l'identité. Comment en suis-je arrivé à être Sam Touzani ? Vais-je accepter ma nouvelle identité ? Il vaut mieux les accumuler que de jeter le bébé avec l'eau du bain. Et si l'eau du bain est un peu sale, c'est qu'on n'en a pas fini avec la "lutte des crasses".
Pourquoi avoir remplacé dans la devise révolutionnaire, fraternité par sexualité ?
Mais la sexualité est très fraternelle ! J'en parle car dans la culture maghrébine ou arabo-musulmane, cela reste par excellence, le sujet tabou. Il est tellement tabou qu'on ne parle que de cela. De ce point de vue, on pourrait même dire que l'Islam reste la religion la plus pornographique car tout y est sexualité inassouvie. On cache la femme, on cache le sexe, on cultive la haine du corps et donc le renoncement à soi-même. Notez que les trois religions monothéistes ont fait de même. Et on promet aux croyants 70 vierges dans l'au-delà.
N'est-ce pas plutôt la société capitaliste ambiante qui est devenue hautement sexualisée ?
Evidemment, le capitalisme sauvage rejoint souvent le fondamentalisme. Je suis un fan des livres de Noam Chomsky qui analyse parfaitement la société américaine sur ce point. Tout est aujourd'hui sexe et utilisation de l'image de la femme dans un but marchand. Cela crée chez les jeunes des idées tout à fait fausses. Je rencontre de nombreux jeunes partout. Savez-vous qu'en France, la deuxième cause du suicide des jeunes est de ne pas avoir su parler de cela avec leurs parents ? On a libéré le marché de la sexualité mais sans apprendre à communiquer.
Avez-vous vécu cela ?
Je suis un vrai belge, un marollien, un echte brusseleer et j'aime en Belgique ces contrastes du meilleur et du pire, de l'excellence et de la médiocrité. En France qui a trois longueurs de retard sur nous, il serait inimaginable d'avoir une femme comme Fadila Laanan, d'origine maghrébine, comme ministre de la culture ! Je n'ai pas pu jouer "Allah superstar" en France, à cause de l'affaire des caricatures et des émeutes dans les banlieues.
Ma famille est berbère venue du Rif, de Tanger.
Mon père aujourd'hui âgé de 80 ans, analphabète et quasi aveugle, ancien tirailleur marocain, avait une autorité suprême. Je dis souvent que s'il y a des grades dans l'armée et dans l'Eglise, chez moi, on était directement devant Dieu le père. Je pissais dans ma culotte devant lui. Mais j'ai eu aussi la chance de rencontrer un opposant, M. Baroudi, qui fut mon père spirituel. Je rends aussi hommage dans mon spectacle aux femmes, à ma mère et à ma soeur.
Vous parvenez à toucher tous les publics.
Je pars du particulier, avec l'humour en plus, pour tenter d'atteindre l'universel. Je suis un homme de mélanges. Je pense au pluriel, je vis au pluriel. Il m'est insupportable de cloisonner les choses. Mon idéal actuel est de me détacher de toutes les appartenances, que nous soyons à poil, comme être humain et qu'on puisse mettre l'homme et la femme au-dessus de tout. Plus jeune, je me prenais pour Che Guevera ou Gandhi. Je suis plus modeste aujourd'hui et je veux avant tout être aimable avec mon voisin de palier.
Mais comment ne pas me réjouir de ces concerts du 0110 sur la place des Palais à Bruxelles. C'était comme l'aboutissement de tous mes combats, de toute ma militance. Le mélange était là, celui qu'on passe son temps à nous cacher, comme on cache le sexe. Et brusquement, on le voit. Même s'il ne faut pas se leurrer et que cela ne changera pas immédiatement le vote des extrémistes. Mais c'est un signe positif qui montre que c'est la bêtise qui rend raciste. © La Libre Belgique 2006
http://www.lalibre.be/article.phtml?id=5&subid=107&art_id=308544