L'islamisme est-il un totalitarisme ?
par Daniel Vernet
LE MONDE | 08.08.06
Pour George W. Bush, l'offensive israélienne contre le Hezbollah fait partie de la "guerre contre la terreur". Tony Blair n'a pas dit autre chose dans un discours prononcé à Los Angeles après sa récente entrevue avec le président américain. Au-delà de la libération des soldats israéliens faits prisonniers par le Hezbollah (et le Hamas), au-delà du désarmement des milices du Parti de Dieu au Liban et au-delà même d'un avertissement donné à l'Iran, la guerre actuelle au Proche-Orient est conçue comme un épisode de l'affrontement entre l'Occident démocratique et libéral d'une part, le fondamentalisme islamiste d'autre part, qui a choisi le terrorisme pour promouvoir sa conception totalitaire - au sens de la définition d'Hanna Arendt (1906-1975) - du monde.
Cette vision n'est pas un simple artifice de propagande mis en avant par quelques néoconservateurs attardés liés aux faucons israéliens et repris pour les besoins de leur cause par MM. Bush et Blair. Elle est soutenue, à des degrés variables et avec des arguments divers, par une partie des intellectuels progressistes américains - ceux qu'on appelle les "libéraux" -, quelques représentants de la gauche européenne et des militants israéliens traditionnellement favorables à une entente avec les Palestiniens. Tous ne sont pas mus par des raisons idéologiques. La principale motivation des Israéliens de gauche qui soutiennent la guerre est la conviction qu'il y va de la survie d'Israël. Dans les milieux américains et européens, de la gauche comme de la droite classiques, le "réalisme", sous la forme d'un refus du "clash of civilisations", l'emporte sur la confrontation politique et morale avec l'islamisme. La crainte de l'amalgame avec l'islam en tant que religion potentiellement intégrable dans les sociétés démocratiques conduit à l'"apaisement".
Le mot n'est pas choisi au hasard. Dans les années 1930, il caractérisait l'attitude des démocraties occidentales vis-à-vis du nazisme et du fascisme et, pendant la guerre froide, la politique de ces mêmes démocraties vis-à-vis du communisme soviétique. Ces parallèles fleurissent dans les écrits des néoconservateurs et de ceux qu'on a appelés par analogie les néolibéraux. Pour eux, le fondamentalisme islamiste est le totalitarisme du XXIe siècle. Et il est vain de se demander s'il est contenu dans l'islam ou s'il contrevient à ses enseignements, comme il était vain de s'interroger jadis sur la fidélité ou l'ignorance des Soviétiques par rapport aux écrits de Marx. Les progressistes partisans de la fermeté ont quelques scrupules à approuver George Bush dans son soutien inconditionnel à Ehoud Olmert, comme ils en avaient eu à soutenir la guerre en Irak afin d'en finir avec Saddam Hussein. Mais après tout, disent-ils, les Etats-Unis et les démocraties se sont bien alliés avec Staline pour vaincre le nazisme.
Le problème avec cette approche est moins la caractérisation de l'islamisme fondamentaliste comme forme de totalitarisme - qui ne peut pas être en effet rejetée d'un revers de main - que le raisonnement par analogie. Pour justifier les actuelles politiques israélienne et américaine, dans les textes des néoconservateurs comme ceux des néolibéraux, les références se multiplient à l'occupation de la Ruhr par Hitler en 1936, aux accords de Munich en 1938, symboles de la pusillanimité occidentale, ou encore - a contrario pour souligner la nécessité de la fermeté - à la crise des fusées à Cuba en 1962.
Les analogies peuvent être trompeuses. Si le fondamentalisme islamiste est une idéologie totalitaire, utilisant parfois le terrorisme, et s'il doit être combattu comme tel, il ne dispose pas des appareils d'Etat que les grands totalitarismes du XXe siècle mettaient au service de leurs ambitions. Les moyens de la guerre classique n'en viendront pas à bout. Se tromper de diagnostic débouche sur une erreur de prescription et de nouvelles catastrophes. Voir l'Irak.
Daniel Vernet
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-801849,0.html
USW...
par Daniel Vernet
LE MONDE | 08.08.06
Pour George W. Bush, l'offensive israélienne contre le Hezbollah fait partie de la "guerre contre la terreur". Tony Blair n'a pas dit autre chose dans un discours prononcé à Los Angeles après sa récente entrevue avec le président américain. Au-delà de la libération des soldats israéliens faits prisonniers par le Hezbollah (et le Hamas), au-delà du désarmement des milices du Parti de Dieu au Liban et au-delà même d'un avertissement donné à l'Iran, la guerre actuelle au Proche-Orient est conçue comme un épisode de l'affrontement entre l'Occident démocratique et libéral d'une part, le fondamentalisme islamiste d'autre part, qui a choisi le terrorisme pour promouvoir sa conception totalitaire - au sens de la définition d'Hanna Arendt (1906-1975) - du monde.
Cette vision n'est pas un simple artifice de propagande mis en avant par quelques néoconservateurs attardés liés aux faucons israéliens et repris pour les besoins de leur cause par MM. Bush et Blair. Elle est soutenue, à des degrés variables et avec des arguments divers, par une partie des intellectuels progressistes américains - ceux qu'on appelle les "libéraux" -, quelques représentants de la gauche européenne et des militants israéliens traditionnellement favorables à une entente avec les Palestiniens. Tous ne sont pas mus par des raisons idéologiques. La principale motivation des Israéliens de gauche qui soutiennent la guerre est la conviction qu'il y va de la survie d'Israël. Dans les milieux américains et européens, de la gauche comme de la droite classiques, le "réalisme", sous la forme d'un refus du "clash of civilisations", l'emporte sur la confrontation politique et morale avec l'islamisme. La crainte de l'amalgame avec l'islam en tant que religion potentiellement intégrable dans les sociétés démocratiques conduit à l'"apaisement".
Le mot n'est pas choisi au hasard. Dans les années 1930, il caractérisait l'attitude des démocraties occidentales vis-à-vis du nazisme et du fascisme et, pendant la guerre froide, la politique de ces mêmes démocraties vis-à-vis du communisme soviétique. Ces parallèles fleurissent dans les écrits des néoconservateurs et de ceux qu'on a appelés par analogie les néolibéraux. Pour eux, le fondamentalisme islamiste est le totalitarisme du XXIe siècle. Et il est vain de se demander s'il est contenu dans l'islam ou s'il contrevient à ses enseignements, comme il était vain de s'interroger jadis sur la fidélité ou l'ignorance des Soviétiques par rapport aux écrits de Marx. Les progressistes partisans de la fermeté ont quelques scrupules à approuver George Bush dans son soutien inconditionnel à Ehoud Olmert, comme ils en avaient eu à soutenir la guerre en Irak afin d'en finir avec Saddam Hussein. Mais après tout, disent-ils, les Etats-Unis et les démocraties se sont bien alliés avec Staline pour vaincre le nazisme.
Le problème avec cette approche est moins la caractérisation de l'islamisme fondamentaliste comme forme de totalitarisme - qui ne peut pas être en effet rejetée d'un revers de main - que le raisonnement par analogie. Pour justifier les actuelles politiques israélienne et américaine, dans les textes des néoconservateurs comme ceux des néolibéraux, les références se multiplient à l'occupation de la Ruhr par Hitler en 1936, aux accords de Munich en 1938, symboles de la pusillanimité occidentale, ou encore - a contrario pour souligner la nécessité de la fermeté - à la crise des fusées à Cuba en 1962.
Les analogies peuvent être trompeuses. Si le fondamentalisme islamiste est une idéologie totalitaire, utilisant parfois le terrorisme, et s'il doit être combattu comme tel, il ne dispose pas des appareils d'Etat que les grands totalitarismes du XXe siècle mettaient au service de leurs ambitions. Les moyens de la guerre classique n'en viendront pas à bout. Se tromper de diagnostic débouche sur une erreur de prescription et de nouvelles catastrophes. Voir l'Irak.
Daniel Vernet
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-801849,0.html
USW...