La Cour constitutionnelle garde le foulard hors des universités
MARC SEMO
QUOTIDIEN : vendredi 6 juin 2008
Le foulard islamique - le türban comme l’appellent les Turcs - sera à nouveau prohibé dans les universités turques. Les onze juges de la Cour constitutionnelle, après sept heures de délibération, ont finalement annulé deux amendements à la loi fondamentale adoptés en février par l’assemblée pour lever cette interdiction jugée contraire «aux libertés individuelles» par l’AKP, le parti au pouvoir issu du mouvement islamiste. «Le droit aux études supérieures ne peut être restreint en fonction de ce que porte une jeune fille», avait affirmé le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, dont l’épouse arbore le foulard y compris dans les occasions officielles, au grand dam du camp laïc et de l’armée. Selon les sondages, près de 75 % des Turcs reconnaissent avoir parmi leurs proches quelqu’un portant le foulard et disent souhaiter dans une proportion équivalente une libéralisation.
Mais le türban représente un symbole politique pour le camp laïc et notamment le CHP (Parti républicain du peuple), héritier proclamé de Mustafa Kemal qui créa après la Première Guerre mondiale une République jacobine et laïque sur les décombres de l’empire ottoman. «Si le foulard entre à l’université, il entrera ensuite à l’école secondaire et nous perdrons la guerre pour la défense de la laïcité», répètent les partisans de l’interdiction.
Très dur. La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg avait débouté, en 2005, une étudiante turque contrainte d’interrompre ses études parce qu’elle refusait d’ôter son foulard, estimant que dans un pays musulman comme la Turquie «une telle interdiction peut être nécessaire à la protection du système démocratique».
Hier, les juges de la Cour constitutionnelle ont estimé par 9 voix contre 2 que la libéralisation du port du foulard était une atteinte au caractère laïque de la République. Cet arrêt très dur pourrait préfigurer une interdiction du parti au pouvoir accusé d’être «un centre d’activité antilaïque» devant la Cour constitutionnelle.
Cette tentative de libéralisation du port du foulard est l’un des principaux points de l’acte d’accusation présenté début mars, qui, outre la dissolution du parti, demande l’interdiction de l’exercice de la politique pour le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, et le chef de l’Etat, Abdullah Gül, ce pour une durée de cinq ans. «Ce verdict aura clairement un impact sur la procédure en cours», a affirmé le politologue et spécialiste de l’islam politique Rusen Cakir. «Les juges de la Cour Constitutionnelle se considèrent comme les ultimes remparts d’une République qu’ils considèrent menacée par l’islamisme et le séparatisme kurde», renchérit Ahmet Insel, universitaire de la gauche libérale, estimant probable l’interdiction de l’AKP, triomphalement reconduit au pouvoir en juillet avec 46,5 % des voix.
Interdits. Une procédure similaire avait par ailleurs été ouverte peu avant contre le parti kurde DTP accusé de liens avec la guérilla du PKK. Plus de 24 partis ont été interdits depuis 1962… et de nouvelles formations aussitôt créées en remplacement. La situation n’en est pas moins inédite pour un pays qui a commencé en 2005 ses négociations d’adhésion à l’UE. Les Européens sont inquiets mais restent profil bas. Ces procédures sont légales et souvent entérinées par les juges de Strasbourg, comme la dissolution du parti islamiste Refah, jugée en 2003 «nécessaires à la protection de la démocratie». C’est en tirant la leçon de tels échecs que Erdogan créa l’AKP qui se proclame pour l’Europe et la démocratie.
http://www.liberation.fr/actualite/monde/330141.FR.php
MARC SEMO
QUOTIDIEN : vendredi 6 juin 2008
Le foulard islamique - le türban comme l’appellent les Turcs - sera à nouveau prohibé dans les universités turques. Les onze juges de la Cour constitutionnelle, après sept heures de délibération, ont finalement annulé deux amendements à la loi fondamentale adoptés en février par l’assemblée pour lever cette interdiction jugée contraire «aux libertés individuelles» par l’AKP, le parti au pouvoir issu du mouvement islamiste. «Le droit aux études supérieures ne peut être restreint en fonction de ce que porte une jeune fille», avait affirmé le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, dont l’épouse arbore le foulard y compris dans les occasions officielles, au grand dam du camp laïc et de l’armée. Selon les sondages, près de 75 % des Turcs reconnaissent avoir parmi leurs proches quelqu’un portant le foulard et disent souhaiter dans une proportion équivalente une libéralisation.
Mais le türban représente un symbole politique pour le camp laïc et notamment le CHP (Parti républicain du peuple), héritier proclamé de Mustafa Kemal qui créa après la Première Guerre mondiale une République jacobine et laïque sur les décombres de l’empire ottoman. «Si le foulard entre à l’université, il entrera ensuite à l’école secondaire et nous perdrons la guerre pour la défense de la laïcité», répètent les partisans de l’interdiction.
Très dur. La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg avait débouté, en 2005, une étudiante turque contrainte d’interrompre ses études parce qu’elle refusait d’ôter son foulard, estimant que dans un pays musulman comme la Turquie «une telle interdiction peut être nécessaire à la protection du système démocratique».
Hier, les juges de la Cour constitutionnelle ont estimé par 9 voix contre 2 que la libéralisation du port du foulard était une atteinte au caractère laïque de la République. Cet arrêt très dur pourrait préfigurer une interdiction du parti au pouvoir accusé d’être «un centre d’activité antilaïque» devant la Cour constitutionnelle.
Cette tentative de libéralisation du port du foulard est l’un des principaux points de l’acte d’accusation présenté début mars, qui, outre la dissolution du parti, demande l’interdiction de l’exercice de la politique pour le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, et le chef de l’Etat, Abdullah Gül, ce pour une durée de cinq ans. «Ce verdict aura clairement un impact sur la procédure en cours», a affirmé le politologue et spécialiste de l’islam politique Rusen Cakir. «Les juges de la Cour Constitutionnelle se considèrent comme les ultimes remparts d’une République qu’ils considèrent menacée par l’islamisme et le séparatisme kurde», renchérit Ahmet Insel, universitaire de la gauche libérale, estimant probable l’interdiction de l’AKP, triomphalement reconduit au pouvoir en juillet avec 46,5 % des voix.
Interdits. Une procédure similaire avait par ailleurs été ouverte peu avant contre le parti kurde DTP accusé de liens avec la guérilla du PKK. Plus de 24 partis ont été interdits depuis 1962… et de nouvelles formations aussitôt créées en remplacement. La situation n’en est pas moins inédite pour un pays qui a commencé en 2005 ses négociations d’adhésion à l’UE. Les Européens sont inquiets mais restent profil bas. Ces procédures sont légales et souvent entérinées par les juges de Strasbourg, comme la dissolution du parti islamiste Refah, jugée en 2003 «nécessaires à la protection de la démocratie». C’est en tirant la leçon de tels échecs que Erdogan créa l’AKP qui se proclame pour l’Europe et la démocratie.
http://www.liberation.fr/actualite/monde/330141.FR.php