www.lemonde.fr
Vivre dans une société du 3e âge
Le vieillissement accéléré de sa population fait du Japon un véritable laboratoire mondial. Alors que tous les pays développés vont dans les prochaines décennies voir leur pyramide des âges s'inverser, l'archipel nippon teste, grandeur nature, toute une série d'initiatives devant faciliter la vie des seniors. Aménagement de l'habitat et des magasins, recherche sur l'ergonomie des objets, lancement de nouveaux services..., tout est expérimenté dans ce pays, où la population, aujourd'hui de 127 millions d'âmes, diminue depuis 2005. En 2027, la moyenne d'âge devrait atteindre 50 ans, contre 41 en 2000 et 30 en 1965.
Les chiffres
POPULATION JAPONAISE
La population du Japon va chuter de 30 % d'ici à 2055 et passer sous la barre des 90 millions d'habitants en raison d'un déclin continu du taux de natalité (1,29 enfant par femme en 2006).
La population est actuellement de 127,7 millions. Plus d'un Japonais sur 5 dépasse l'âge de 65 ans. L'espérance de vie est de 82 ans, le record mondial.
VIEILLISSEMENT
Depuis cinquante ans, l'espérance de vie dans les pays industrialisés augmente d'un an tous les cinq ans.
Les plus de 60 ans étaient 602 millions en 2000 dans le monde. Ils approcheront les 2 milliards en 2050. Ils représenteront alors 22 % de la population mondiale, contre 10 % actuellement.
[-] fermer
Les experts s'attendent à ce que l'économie nippone vive un véritable bouleversement. Dans la consommation des foyers, "les postes de dépenses comme la voiture, les appareils électroniques grand public ou encore l'éducation vont baisser au profit de secteurs comme la cosmétique, la communication, les soins médicaux", relève Tetsuro Sugiura, de l'Institut de recherche Mizuho. Pour le démographe et biologiste Shripad Tuljapurkar, "les activités de nos sociétés ont été imaginées pour des gens pouvant marcher sans problème, porter des choses lourdes, voir et entendre facilement. Même s'ils sont en bonne santé, de plus en plus de gens iront plus lentement. La société va ralentir, et les pays vont devoir s'y adapter". Au Japon, premier touché, l'exercice est d'autant plus complexe que la population active diminue.
Plutôt que de faire appel à une immigration non désirée, le Japon a choisi de miser sur la technologie. Dès à présent, dans les résidences pour seniors au coeur des villes, chaque appartement géré par la société Zecs Community est doté d'un écran portable et tactile diffusant les informations de la vie quotidienne, menus du jour, disponibilité de la salle commune... Les personnes âgées s'en servent pour envoyer des messages à l'administration. Son concurrent BestLife, a également commencé à équiper ses logements d'écrans tactiles reliés 24 heures sur 24 à une clinique par une ligne à haut débit. Des consultations médicales à distance sont assurées ainsi jour et nuit.
Encore au stade de l'expérimentation, de nombreux chercheurs travaillent sur l'utilisation de marqueurs électroniques pour baliser les habitations. Il en existe déjà pour ouvrir automatiquement des portes ou éclairer une pièce. Les recherches actuelles portent sur leur utilisation pour étudier à distance les comportements des personnes à mobilité réduite. Ainsi, au centre de soins de Aizen-en, maison de retraite médicalisée dans l'ouest de Tokyo, des marqueurs à ultrasons, fixés sur les fauteuils prototypes, permettent de surveiller les déplacements des patients. Moins oppressant que les caméras, ce maillage électronique de l'espace permet d'accumuler des données sur les habitudes quotidiennes des personnes.
La multiplication de ces marqueurs électroniques devrait également favoriser l'arrivée massive des robots dans le quotidien des personnes âgées. Pour l'instant, ces assistants de vie électroniques ne sont encore que des prototypes peuplant des dizaines de laboratoires nippons. Malgré quelques avancées concrètes comme Paro, le très expressif et déjà commercialisé robot-phoque qui remonte le moral, leur sortie dans la vie réelle n'est pas attendue avant au moins une décennie.
Pour que cela soit possible, les chercheurs veulent les rendre autonomes en les faisant interagir avec l'environnement. Ainsi, le professeur Hitoshi Watanabe, de l'université de Waseda, travaille sur un robot équipé de capteurs se déplaçant à l'aide de marqueurs RFID (Radiofrequency Identification), installés dans les objets, les sols, les murs. Le chercheur souhaite rapidement programmer le robot pour qu'il puisse se déplacer et prendre l'ascenseur afin de pouvoir réceptionner une livraison.
L'environnement direct des personnes âgées ne sera pas seulement modifié par les dernières innovations technologiques. Lawson, une des principales chaînes japonaises de petits magasins de proximité, mise sur des points de vente spécialement aménagés pour les plus âgés. Les allées sont plus larges pour faciliter les déplacements, les chariots plus légers, les présentoirs ont été rabaissés de 15 centimètres et les étiquettes sont deux fois plus grosses. Dans les rayons, lunettes de lecture grossissantes, soupes diététiques sans sel mais aussi confiseries japonaises traditionnelles particulièrement prisées des anciens... Un espace de repos, avec fauteuils électriques relaxants, a été aménagé pour l'après-courses. L'enseigne a été jusqu'à recruter des vendeurs quinquas, considérés par Lawson comme "mieux à même de comprendre les attentes des seniors". Devenu un véritable enjeu économique, la vie quotidienne version senior peut s'imaginer de façon moins classique. L'audacieux architecte Shusaku Arakawa ne veut pas d'une société passive. Partant de l'idée qu'il fallait "raviver les sensations et les fonctions dormantes du corps humain", il a créé des petits immeubles de deux étages à l'agencement volontairement inconfortable. La cuisine-séjour, ouverte, est au centre de l'appartement, un emplacement peu habituel dans les logements japonais. Elle est entourée de quatre pièces, dont une salle dite "d'étude", dont le sol est incurvé. Dans la salle de bains, il faut grimper pour accéder au lavabo, installé en légère surélévation. Le sol du séjour est inégal et les interrupteurs sont installés à des hauteurs variables, différentes des standards en vigueur.
M. Arakawa, 69 ans, justifie sa démarche en expliquant qu'"il n'existe pas d'espace plat dans la nature". Baptisés "lofts du destin réversible", ces appartements intéressent certains médecins qui pensent que ce concept pourrait se révéler utile dans le traitement de cas de démence ou la rééducation en continu.
Philippe Mesmer (Correspondance)
Vivre dans une société du 3e âge
Le vieillissement accéléré de sa population fait du Japon un véritable laboratoire mondial. Alors que tous les pays développés vont dans les prochaines décennies voir leur pyramide des âges s'inverser, l'archipel nippon teste, grandeur nature, toute une série d'initiatives devant faciliter la vie des seniors. Aménagement de l'habitat et des magasins, recherche sur l'ergonomie des objets, lancement de nouveaux services..., tout est expérimenté dans ce pays, où la population, aujourd'hui de 127 millions d'âmes, diminue depuis 2005. En 2027, la moyenne d'âge devrait atteindre 50 ans, contre 41 en 2000 et 30 en 1965.
Les chiffres
POPULATION JAPONAISE
La population du Japon va chuter de 30 % d'ici à 2055 et passer sous la barre des 90 millions d'habitants en raison d'un déclin continu du taux de natalité (1,29 enfant par femme en 2006).
La population est actuellement de 127,7 millions. Plus d'un Japonais sur 5 dépasse l'âge de 65 ans. L'espérance de vie est de 82 ans, le record mondial.
VIEILLISSEMENT
Depuis cinquante ans, l'espérance de vie dans les pays industrialisés augmente d'un an tous les cinq ans.
Les plus de 60 ans étaient 602 millions en 2000 dans le monde. Ils approcheront les 2 milliards en 2050. Ils représenteront alors 22 % de la population mondiale, contre 10 % actuellement.
[-] fermer
Les experts s'attendent à ce que l'économie nippone vive un véritable bouleversement. Dans la consommation des foyers, "les postes de dépenses comme la voiture, les appareils électroniques grand public ou encore l'éducation vont baisser au profit de secteurs comme la cosmétique, la communication, les soins médicaux", relève Tetsuro Sugiura, de l'Institut de recherche Mizuho. Pour le démographe et biologiste Shripad Tuljapurkar, "les activités de nos sociétés ont été imaginées pour des gens pouvant marcher sans problème, porter des choses lourdes, voir et entendre facilement. Même s'ils sont en bonne santé, de plus en plus de gens iront plus lentement. La société va ralentir, et les pays vont devoir s'y adapter". Au Japon, premier touché, l'exercice est d'autant plus complexe que la population active diminue.
Plutôt que de faire appel à une immigration non désirée, le Japon a choisi de miser sur la technologie. Dès à présent, dans les résidences pour seniors au coeur des villes, chaque appartement géré par la société Zecs Community est doté d'un écran portable et tactile diffusant les informations de la vie quotidienne, menus du jour, disponibilité de la salle commune... Les personnes âgées s'en servent pour envoyer des messages à l'administration. Son concurrent BestLife, a également commencé à équiper ses logements d'écrans tactiles reliés 24 heures sur 24 à une clinique par une ligne à haut débit. Des consultations médicales à distance sont assurées ainsi jour et nuit.
Encore au stade de l'expérimentation, de nombreux chercheurs travaillent sur l'utilisation de marqueurs électroniques pour baliser les habitations. Il en existe déjà pour ouvrir automatiquement des portes ou éclairer une pièce. Les recherches actuelles portent sur leur utilisation pour étudier à distance les comportements des personnes à mobilité réduite. Ainsi, au centre de soins de Aizen-en, maison de retraite médicalisée dans l'ouest de Tokyo, des marqueurs à ultrasons, fixés sur les fauteuils prototypes, permettent de surveiller les déplacements des patients. Moins oppressant que les caméras, ce maillage électronique de l'espace permet d'accumuler des données sur les habitudes quotidiennes des personnes.
La multiplication de ces marqueurs électroniques devrait également favoriser l'arrivée massive des robots dans le quotidien des personnes âgées. Pour l'instant, ces assistants de vie électroniques ne sont encore que des prototypes peuplant des dizaines de laboratoires nippons. Malgré quelques avancées concrètes comme Paro, le très expressif et déjà commercialisé robot-phoque qui remonte le moral, leur sortie dans la vie réelle n'est pas attendue avant au moins une décennie.
Pour que cela soit possible, les chercheurs veulent les rendre autonomes en les faisant interagir avec l'environnement. Ainsi, le professeur Hitoshi Watanabe, de l'université de Waseda, travaille sur un robot équipé de capteurs se déplaçant à l'aide de marqueurs RFID (Radiofrequency Identification), installés dans les objets, les sols, les murs. Le chercheur souhaite rapidement programmer le robot pour qu'il puisse se déplacer et prendre l'ascenseur afin de pouvoir réceptionner une livraison.
L'environnement direct des personnes âgées ne sera pas seulement modifié par les dernières innovations technologiques. Lawson, une des principales chaînes japonaises de petits magasins de proximité, mise sur des points de vente spécialement aménagés pour les plus âgés. Les allées sont plus larges pour faciliter les déplacements, les chariots plus légers, les présentoirs ont été rabaissés de 15 centimètres et les étiquettes sont deux fois plus grosses. Dans les rayons, lunettes de lecture grossissantes, soupes diététiques sans sel mais aussi confiseries japonaises traditionnelles particulièrement prisées des anciens... Un espace de repos, avec fauteuils électriques relaxants, a été aménagé pour l'après-courses. L'enseigne a été jusqu'à recruter des vendeurs quinquas, considérés par Lawson comme "mieux à même de comprendre les attentes des seniors". Devenu un véritable enjeu économique, la vie quotidienne version senior peut s'imaginer de façon moins classique. L'audacieux architecte Shusaku Arakawa ne veut pas d'une société passive. Partant de l'idée qu'il fallait "raviver les sensations et les fonctions dormantes du corps humain", il a créé des petits immeubles de deux étages à l'agencement volontairement inconfortable. La cuisine-séjour, ouverte, est au centre de l'appartement, un emplacement peu habituel dans les logements japonais. Elle est entourée de quatre pièces, dont une salle dite "d'étude", dont le sol est incurvé. Dans la salle de bains, il faut grimper pour accéder au lavabo, installé en légère surélévation. Le sol du séjour est inégal et les interrupteurs sont installés à des hauteurs variables, différentes des standards en vigueur.
M. Arakawa, 69 ans, justifie sa démarche en expliquant qu'"il n'existe pas d'espace plat dans la nature". Baptisés "lofts du destin réversible", ces appartements intéressent certains médecins qui pensent que ce concept pourrait se révéler utile dans le traitement de cas de démence ou la rééducation en continu.
Philippe Mesmer (Correspondance)
