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http://eduscol.education.fr/D0126/fait_religieux_depremare.htm
La formation des écritures islamiques
Alfred-Louis de Prémare, professeur émérite, université de Provence et Ireman
On ne peut pas parler de la formation du Coran sans parler de l'ensemble des écritures islamiques durant cette même période. En effet, si nous nous plaçons dans la perspective de l'histoire des textes, les deux corpus d'écritures aujourd'hui canoniques pour les musulmans, le Coran et le Hadîth, sont nés ensemble, bien que la mise en forme des grands corpus de Hadîth fût postérieure à celle du corpus coranique.
Par ailleurs, le Coran n'est pas la seule source de référence canonique en matière de législation, celle-ci couvrant les différents champs de la vie concrète de la communauté musulmane : droit privé, droit pénal, statut personnel, etc. Il y a aussi le Hadîth, l'ensemble des traditions rapportées du prophète de l'islam, appelé aussi Sunna, c'est-à-dire " pratique normative ". À titre d'exemple, l'obligation des cinq prières quotidiennes n'est pas tant définie par le Coran que par le Hadîth. De même, pour comprendre les controverses actuelles sur le foulard islamique, il ne faut pas se référer seulement au Coran, mais également à un célèbre hadîth (logion) attribué au prophète de l'islam disant que, de la femme, on ne doit voir que le visage et les mains. En ce qui concerne la lapidation des adultères, cette peine ne se trouve pas dans le Coran, mais dans la Sunna.
Il me faut faire d'abord une mise au point sur le terme " corpus " appliqué au Coran, dans la mesure où les musulmans refusent généralement ce terme car le Coran est pour eux un texte sacré descendu du ciel et non un corpus qui serait le produit d'un assemblage humain. Et pourtant la tradition islamique elle-même parle de " rassemblement ", de " collecte " [jam'], de textes rassemblés après la mort du prophète. Au fond, le terme " corpus " ne dit pas autre chose et on peut l'employer même si certains musulmans d'aujourd'hui ne s'en satisfont pas. En effet, la simple lecture du Coran montre bien ce caractère de rassemblement de textes fragmentaires, souvent juxtaposés et souvent sans véritable continuité de l'un à l'autre, même si leur juxtaposition finale peut obéir à une certaine intention.
Que le terme " corpus " puisse être appliqué au Hadîth est encore plus évident. Plusieurs des grands corpus canoniques du IXe siècle sont intitulés jâmi', " celui qui rassemble ", et leurs unités littéraires en sont des fragments discontinus, même lorsqu'elles sont classées par thèmes.
On peut donc dire, aussi bien pour le Coran que pour le Hadîth, que ces corpus non seulement ont été " rassemblés ", mais aussi qu'ils ont fait l'objet d'une activité rédactionnelle et d'une élaboration, et donc qu'ils ont une histoire. Or, pour comprendre cette histoire, il faut l'envisager sous trois aspects : il s'agit d'un processus sur une longue période, dans un espace élargi, fruit d'un travail collectif.
Une longue période, un espace élargi, un travail collectif
Pour les musulmans, la totalité du Coran a été révélée (le terme propre est " descendue ") pendant la carrière du prophète, entre 610 et 632. Dans un premier temps, la recherche orientaliste moderne a généralement repris ce schéma, classant les différents chapitres (sourates) du Coran comme ayant été révélés successivement à La Mecque et à Médine. Les manuels scolaires reprennent généralement ce schéma, certains allant même jusqu'à dire, par exemple : " En 610, le Coran est révélé par l'archange Gabriel ". Cette perspective, outre l'utilisation d'un langage proprement confessionnel, ne tient pas compte du travail rédactionnel qui s'est étendu bien après la mort du prophète de l'islam et dont la tradition islamique nous donne de multiples témoignages.
De même, il savoir que la constitution du corpus s'est faite dans un espace plus large que celui de La Mecque et de Médine, qui s'étendait du Hedjaz et du Yémen à la Mésopotamie. En effet, nous avons affaire à un processus qui commence à Médine, mais qui continue après la conquête en Syrie et en Mésopotamie surtout, où se constituent des codex concurrents de celui de Médine.
Il s'agit donc d'une période longue : il faut compter environ un siècle pour l'établissement d'une vulgate officielle du Coran, et un siècle de plus pour celui des grands corpus canoniques du Hadîth.
Il s'agit aussi d'un travail collectif qui prend en compte l'œuvre de scribes dont la tradition islamique atteste l'existence et nous donne les noms. On y parle des secrétaires qui entourent Muhammad dont certains sont d'anciens juifs qui ont adhéré à la foi nouvelle ; tel autre est d'origine éthiopienne ou byzantine, à côté d'Arabes de la Péninsule, du Nord ou du Sud. Certaines traditions laissent penser que Muhammad reçoit du ciel, mais aussi de ses secrétaires !1 Après la mort du fondateur, le travail de constitution du corpus se poursuit non seulement à Médine, mais aussi dans les nouveaux centres créés par la conquête : c'est le cas de la nouvelle agglomération de Kûfa en Irak qui verra l'établissement d'un codex coranique concurrent de celui de Médine. Les récits traditionnels évoquent aussi des codex concurrents en Syrie et au Yémen.
Les musulmans des premières générations, racontant comment s'était constitué le Coran, le faisaient avec beaucoup de liberté et de réalisme, et paraissaient donc moins rigides que beaucoup de musulmans d'aujourd'hui.
L'intervention du pouvoir politique
Durant toute cette période, le rôle de l'autorité politique dans ce processus a été considérable. Tous les grands califes ont été impliqués dans la mise en place des écritures. Les califes constituent des commissions pour le rassemblement et la mise au point des textes, contrôlent la diffusion des textes sélectionnés, répriment les dissidents et détruisent les versions concurrentes. Tout cela obéit à une visée politique : sauvegarder l'unité d'une communauté, déjà déchirée par les dissensions, autour d'un pouvoir unique et de textes contrôlés. En effet, le calife est par définition " successeur " du prophète et se trouve investi d'une double fonction de chef religieux et politique de la communauté. La nostalgie d'une alliance idéale entre le politique et le religieux anime l'utopie islamique encore de nos jours.
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http://eduscol.education.fr/D0126/fait_religieux_depremare.htm
La formation des écritures islamiques
Alfred-Louis de Prémare, professeur émérite, université de Provence et Ireman
On ne peut pas parler de la formation du Coran sans parler de l'ensemble des écritures islamiques durant cette même période. En effet, si nous nous plaçons dans la perspective de l'histoire des textes, les deux corpus d'écritures aujourd'hui canoniques pour les musulmans, le Coran et le Hadîth, sont nés ensemble, bien que la mise en forme des grands corpus de Hadîth fût postérieure à celle du corpus coranique.
Par ailleurs, le Coran n'est pas la seule source de référence canonique en matière de législation, celle-ci couvrant les différents champs de la vie concrète de la communauté musulmane : droit privé, droit pénal, statut personnel, etc. Il y a aussi le Hadîth, l'ensemble des traditions rapportées du prophète de l'islam, appelé aussi Sunna, c'est-à-dire " pratique normative ". À titre d'exemple, l'obligation des cinq prières quotidiennes n'est pas tant définie par le Coran que par le Hadîth. De même, pour comprendre les controverses actuelles sur le foulard islamique, il ne faut pas se référer seulement au Coran, mais également à un célèbre hadîth (logion) attribué au prophète de l'islam disant que, de la femme, on ne doit voir que le visage et les mains. En ce qui concerne la lapidation des adultères, cette peine ne se trouve pas dans le Coran, mais dans la Sunna.
Il me faut faire d'abord une mise au point sur le terme " corpus " appliqué au Coran, dans la mesure où les musulmans refusent généralement ce terme car le Coran est pour eux un texte sacré descendu du ciel et non un corpus qui serait le produit d'un assemblage humain. Et pourtant la tradition islamique elle-même parle de " rassemblement ", de " collecte " [jam'], de textes rassemblés après la mort du prophète. Au fond, le terme " corpus " ne dit pas autre chose et on peut l'employer même si certains musulmans d'aujourd'hui ne s'en satisfont pas. En effet, la simple lecture du Coran montre bien ce caractère de rassemblement de textes fragmentaires, souvent juxtaposés et souvent sans véritable continuité de l'un à l'autre, même si leur juxtaposition finale peut obéir à une certaine intention.
Que le terme " corpus " puisse être appliqué au Hadîth est encore plus évident. Plusieurs des grands corpus canoniques du IXe siècle sont intitulés jâmi', " celui qui rassemble ", et leurs unités littéraires en sont des fragments discontinus, même lorsqu'elles sont classées par thèmes.
On peut donc dire, aussi bien pour le Coran que pour le Hadîth, que ces corpus non seulement ont été " rassemblés ", mais aussi qu'ils ont fait l'objet d'une activité rédactionnelle et d'une élaboration, et donc qu'ils ont une histoire. Or, pour comprendre cette histoire, il faut l'envisager sous trois aspects : il s'agit d'un processus sur une longue période, dans un espace élargi, fruit d'un travail collectif.
Une longue période, un espace élargi, un travail collectif
Pour les musulmans, la totalité du Coran a été révélée (le terme propre est " descendue ") pendant la carrière du prophète, entre 610 et 632. Dans un premier temps, la recherche orientaliste moderne a généralement repris ce schéma, classant les différents chapitres (sourates) du Coran comme ayant été révélés successivement à La Mecque et à Médine. Les manuels scolaires reprennent généralement ce schéma, certains allant même jusqu'à dire, par exemple : " En 610, le Coran est révélé par l'archange Gabriel ". Cette perspective, outre l'utilisation d'un langage proprement confessionnel, ne tient pas compte du travail rédactionnel qui s'est étendu bien après la mort du prophète de l'islam et dont la tradition islamique nous donne de multiples témoignages.
De même, il savoir que la constitution du corpus s'est faite dans un espace plus large que celui de La Mecque et de Médine, qui s'étendait du Hedjaz et du Yémen à la Mésopotamie. En effet, nous avons affaire à un processus qui commence à Médine, mais qui continue après la conquête en Syrie et en Mésopotamie surtout, où se constituent des codex concurrents de celui de Médine.
Il s'agit donc d'une période longue : il faut compter environ un siècle pour l'établissement d'une vulgate officielle du Coran, et un siècle de plus pour celui des grands corpus canoniques du Hadîth.
Il s'agit aussi d'un travail collectif qui prend en compte l'œuvre de scribes dont la tradition islamique atteste l'existence et nous donne les noms. On y parle des secrétaires qui entourent Muhammad dont certains sont d'anciens juifs qui ont adhéré à la foi nouvelle ; tel autre est d'origine éthiopienne ou byzantine, à côté d'Arabes de la Péninsule, du Nord ou du Sud. Certaines traditions laissent penser que Muhammad reçoit du ciel, mais aussi de ses secrétaires !1 Après la mort du fondateur, le travail de constitution du corpus se poursuit non seulement à Médine, mais aussi dans les nouveaux centres créés par la conquête : c'est le cas de la nouvelle agglomération de Kûfa en Irak qui verra l'établissement d'un codex coranique concurrent de celui de Médine. Les récits traditionnels évoquent aussi des codex concurrents en Syrie et au Yémen.
Les musulmans des premières générations, racontant comment s'était constitué le Coran, le faisaient avec beaucoup de liberté et de réalisme, et paraissaient donc moins rigides que beaucoup de musulmans d'aujourd'hui.
L'intervention du pouvoir politique
Durant toute cette période, le rôle de l'autorité politique dans ce processus a été considérable. Tous les grands califes ont été impliqués dans la mise en place des écritures. Les califes constituent des commissions pour le rassemblement et la mise au point des textes, contrôlent la diffusion des textes sélectionnés, répriment les dissidents et détruisent les versions concurrentes. Tout cela obéit à une visée politique : sauvegarder l'unité d'une communauté, déjà déchirée par les dissensions, autour d'un pouvoir unique et de textes contrôlés. En effet, le calife est par définition " successeur " du prophète et se trouve investi d'une double fonction de chef religieux et politique de la communauté. La nostalgie d'une alliance idéale entre le politique et le religieux anime l'utopie islamique encore de nos jours.
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