France Keyser : Les visages de l'islam de France
LE MONDE 2 | 23.05.08 | 14h16 • Mis à jour le 24.05.08 | 09h31
On dit les musulmans à la marge de la société française, communautarisés, conservateurs… La photographe france keyser a voulu aller au-delà de ces préjugés et partager leur quotidien, dans toute la France. Elle dresse le portrait de femmes et d'hommes impliqués dans la vie publique, qui vivent leur pratique religieuse comme une affaire privée. Des citoyens comme les autres.
La France compte cinq à six millions d'hommes et de femmes de culture musulmane, dont deux à trois millions sont des citoyens français. Nul ne connaît leur nombre exact, puisque la Constitution interdit tout recensement sur des bases ethniques ou religieuses. Il est tout aussi difficile d'évaluer le nombre de ceux qui, parmi eux, sont croyants et pratiquants réguliers. Mais incontestablement, ils sont aujourd'hui partie prenante d'une France diverse, multiculturelle, multiconfessionnelle.
Sur fond de terrorisme international, voire de " choc des civilisations " selon certains, cette population reste enfermée dans une série de clichés. Musulmane, elle voudrait " islamiser la France ". Conservatrice, ses valeurs seraient contraires à la libéralisation des mœurs, maintiendraient les femmes dans un rôle secondaire. Communautarisée, cette population vivrait en marge de la société, serait en dissidence avec les institutions de la République. Pauvre, elle profiterait du système social français.
Autant d'affirmations que France Keyser a voulu mettre à l'épreuve de son objectif, en allant à la rencontre de ceux qui pratiquent l'islam, comme d'autres sont catholiques, protestants ou juifs pratiquants. Ses photos mettent en scène, dans leur vie quotidienne, des citoyens qui sont loin d'être en marge ou en rupture avec la société française et ses valeurs. Architectes, médecins, commerçants, sportifs professionnels, étudiants… ils sont pleinement insérés et prennent part à la vie publique. Ils sont délégués de parents d'élèves dans l'école de leurs enfants, appartiennent à des groupes de réflexion. L'un est franc-maçon. Plusieurs ont brigué des mandats électifs. L'engagement de ces musulmans, leur implication dans la société, France Keyser a pu les mesurer jusque dans l'armée. L'institution militaire compte, depuis qu'elle s'est professionnalisée, de plus en plus de jeunes recrues de culture musulmane.
Des femmes voilées, celles-là mêmes qui sont souvent désignées comme les victimes de l'islamisme, lui ont également ouvert leur porte. Des femmes qui sont engagées dans la société, font des études, du sport – de haut niveau pour certaines – " et revendiquent même parfois une forme de féminisme ", relève la photographe.
En somme, ce sont des " musulmans, Français comme les autres " que dit avoir rencontrés France Keyser. Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, chercheurs au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en avaient fait le constat, au terme d'une enquête réalisée en 2005 sur un large échantillon de citoyens français d'origine maghrébine, africaine et turque. Cette enquête montrait que ces " nouveaux " citoyens sont déjà, et dans leur grande majorité, intégrés (Français comme les autres ?, Presses de Sciences Po, 2006, 10 €).
La population musulmane n'est pas pour autant exempte de tensions : autoritarisme, intolérance sexuelle, racisme, antisémitisme, etc. Sur l'homosexualité, les relations sexuelles avant le mariage pour les femmes ou encore la mixité dans les piscines, par exemple, elle est moins ouverte que le reste de la société. L'islam, dans son interprétation la plus conservatrice, peut faire obstacle à des actes essentiels de la vie courante. Dans le panorama de France Keyser, les représentants d'un islam le plus radical, ceux qui peinent le plus à s'intégrer et suscitent un fort rejet, sont absents. Cependant, comme le révélait l'enquête du Cevipof, pour une grande majorité de musulmans français, qu'ils soient hommes ou femmes, la religion n'est pas un facteur de retrait de la vie française ou d'isolement communautaire. Seul un tiers d'entre eux estime qu'un croyant doit suivre les principes coraniques même si ceux-ci s'opposent à la loi française. Et une écrasante majorité (80 %) considère le mot laïcité comme " très " ou " assez positif ". Si le fait d'être musulman se caractérise par une importance accrue accordée aux normes religieuses dans la vie quotidienne, il relève cependant, chez la plupart, d'une affaire privée, comme a pu l'observer la photographe : " Ils sont pratiquants mais leur pratique de l'islam est avant tout individuelle. Elle ne fait pas l'objet de prosélytisme, ni d'une revendication identitaire. " Un des mérites des photos de France Keyser est de donner une visibilité à cette " majorité silencieuse " de la population musulmane. Ses portraits dessinent le visage d'une France qui frappe à la porte de la République sans toujours se faire entendre. " Musulmans, pratiquants, ils se disent, se sentent d'abord français, et marquent une nette volonté d'être reconnus comme tels ", insiste-t-elle. Au fond c'est peut-être moins la question de l'intégration de ces "nouveaux " citoyens que la perception de leur intégration par la société qui est ici posée.
Lætitia Van Eeckhout
lien
LE MONDE 2 | 23.05.08 | 14h16 • Mis à jour le 24.05.08 | 09h31
On dit les musulmans à la marge de la société française, communautarisés, conservateurs… La photographe france keyser a voulu aller au-delà de ces préjugés et partager leur quotidien, dans toute la France. Elle dresse le portrait de femmes et d'hommes impliqués dans la vie publique, qui vivent leur pratique religieuse comme une affaire privée. Des citoyens comme les autres.
La France compte cinq à six millions d'hommes et de femmes de culture musulmane, dont deux à trois millions sont des citoyens français. Nul ne connaît leur nombre exact, puisque la Constitution interdit tout recensement sur des bases ethniques ou religieuses. Il est tout aussi difficile d'évaluer le nombre de ceux qui, parmi eux, sont croyants et pratiquants réguliers. Mais incontestablement, ils sont aujourd'hui partie prenante d'une France diverse, multiculturelle, multiconfessionnelle.
Sur fond de terrorisme international, voire de " choc des civilisations " selon certains, cette population reste enfermée dans une série de clichés. Musulmane, elle voudrait " islamiser la France ". Conservatrice, ses valeurs seraient contraires à la libéralisation des mœurs, maintiendraient les femmes dans un rôle secondaire. Communautarisée, cette population vivrait en marge de la société, serait en dissidence avec les institutions de la République. Pauvre, elle profiterait du système social français.
Autant d'affirmations que France Keyser a voulu mettre à l'épreuve de son objectif, en allant à la rencontre de ceux qui pratiquent l'islam, comme d'autres sont catholiques, protestants ou juifs pratiquants. Ses photos mettent en scène, dans leur vie quotidienne, des citoyens qui sont loin d'être en marge ou en rupture avec la société française et ses valeurs. Architectes, médecins, commerçants, sportifs professionnels, étudiants… ils sont pleinement insérés et prennent part à la vie publique. Ils sont délégués de parents d'élèves dans l'école de leurs enfants, appartiennent à des groupes de réflexion. L'un est franc-maçon. Plusieurs ont brigué des mandats électifs. L'engagement de ces musulmans, leur implication dans la société, France Keyser a pu les mesurer jusque dans l'armée. L'institution militaire compte, depuis qu'elle s'est professionnalisée, de plus en plus de jeunes recrues de culture musulmane.
Des femmes voilées, celles-là mêmes qui sont souvent désignées comme les victimes de l'islamisme, lui ont également ouvert leur porte. Des femmes qui sont engagées dans la société, font des études, du sport – de haut niveau pour certaines – " et revendiquent même parfois une forme de féminisme ", relève la photographe.
En somme, ce sont des " musulmans, Français comme les autres " que dit avoir rencontrés France Keyser. Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, chercheurs au centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en avaient fait le constat, au terme d'une enquête réalisée en 2005 sur un large échantillon de citoyens français d'origine maghrébine, africaine et turque. Cette enquête montrait que ces " nouveaux " citoyens sont déjà, et dans leur grande majorité, intégrés (Français comme les autres ?, Presses de Sciences Po, 2006, 10 €).
La population musulmane n'est pas pour autant exempte de tensions : autoritarisme, intolérance sexuelle, racisme, antisémitisme, etc. Sur l'homosexualité, les relations sexuelles avant le mariage pour les femmes ou encore la mixité dans les piscines, par exemple, elle est moins ouverte que le reste de la société. L'islam, dans son interprétation la plus conservatrice, peut faire obstacle à des actes essentiels de la vie courante. Dans le panorama de France Keyser, les représentants d'un islam le plus radical, ceux qui peinent le plus à s'intégrer et suscitent un fort rejet, sont absents. Cependant, comme le révélait l'enquête du Cevipof, pour une grande majorité de musulmans français, qu'ils soient hommes ou femmes, la religion n'est pas un facteur de retrait de la vie française ou d'isolement communautaire. Seul un tiers d'entre eux estime qu'un croyant doit suivre les principes coraniques même si ceux-ci s'opposent à la loi française. Et une écrasante majorité (80 %) considère le mot laïcité comme " très " ou " assez positif ". Si le fait d'être musulman se caractérise par une importance accrue accordée aux normes religieuses dans la vie quotidienne, il relève cependant, chez la plupart, d'une affaire privée, comme a pu l'observer la photographe : " Ils sont pratiquants mais leur pratique de l'islam est avant tout individuelle. Elle ne fait pas l'objet de prosélytisme, ni d'une revendication identitaire. " Un des mérites des photos de France Keyser est de donner une visibilité à cette " majorité silencieuse " de la population musulmane. Ses portraits dessinent le visage d'une France qui frappe à la porte de la République sans toujours se faire entendre. " Musulmans, pratiquants, ils se disent, se sentent d'abord français, et marquent une nette volonté d'être reconnus comme tels ", insiste-t-elle. Au fond c'est peut-être moins la question de l'intégration de ces "nouveaux " citoyens que la perception de leur intégration par la société qui est ici posée.
Lætitia Van Eeckhout
lien