Patrick Weil : "50 % d'immigration économique, c'est mission impossible"
LEMONDE.FR | 10.07.07 | 15h39 • Mis à jour le 11.07.07 | 18h50
Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, revient sur la lettre de mission envoyé au ministre: "un président d'inspiration libérale veut gérer l'immigration comme on gérait le Gosplan dans les années 1950 en Union soviétique".
Richard : Qu'est-ce que l'immigration économique ? Sarkozy veut qu'elle représente 50 % de l'immigration en général, soit. Mais quelle est sa part actuellement ?
Patrick Weil : L'immigration économique, ce sont des types de séjour accordés sur la base d'un contrat de travail, et non sur la base de droits revendiqués, soit à partir d'un lien de famille, soit à partir du statut de réfugié politique.
En ce qui concerne la part de l'immigration économique, pour l'année 2005, le nombre de ces titres était de neuf mille sur cent trente-six mille titres délivrés à des immigrés permanents hors Union européenne. Ce qui fait environ 6,6 %.
Cela ne veut pas dire que les autres migrants qui obtiennent un titre, par exemple comme conjoint de Français, ne travaillent pas. Une étude menée à la demande du ministère des affaires sociales montre que 70 % des personnes qui entrent au titre de la migration familiale travaillent.
Il y a aussi une dimension économique de la migration qui vient à d'autres titres que l'accès direct au marché du travail. M. Sarkozy vient de fixer un quota de 50 % à M. Hortefeux.
Joanne : Cet objectif est-il réaliste, peut-on le mettre en place ? Comment ? Est-ce une bonne initiative ?
Patrick Weil : Ce que l'on peut dire de cet objectif, c'est qu'il est absolument irréalisable. Donc le fait qu'il ait été annoncé, c'est soit que c'est un mensonge déconcertant, ou une erreur grossière. Je penche plutôt pour l'erreur.
Parce que quand j'ai lu la lettre de mission envoyée par MM. Sarkozy et Fillon, j'ai vu qu'ils faisaient référence au Canada. Mais les rédacteurs de cette lettre ne savent pas ou n'ont pas vu que les statistiques canadiennes ne sont pas construites de la même manière que les statistiques françaises.
En France, si vous venez au titre d'un lien de famille, d'un migrant économique, ou d'un réfugié, vous serez classé dans la grande catégorie de "migration familiale" comme si vous veniez au titre de conjoint de Français ou de parent d'enfant français.
Au Canada, les familles de réfugiés sont comptées avec les réfugiés, et les familles de migrants économiques sont comptées avec la migration économique. Mais si vous désagrégez la catégorie migration économique canadienne et que vous affectez les familles de migrants économiques à une catégorie migration familiale, vous vous rendez compte que sur les deux cent cinquante-deux mille migrants permanents que le Canada a reçus en 2006, seuls cinquante-six mille étaient des migrants économiques, ce qui fait un pourcentage de 21,4 %.
Or il faut savoir que le Canada, eu égard à sa population, accueille quatre fois plus d'immigrants que la France, que le Canada privilégie l'immigration économique, mais respecte aussi le droit d'asile et le droit à une vie familiale normale. Donc malgré cette priorité donnée à l'immigration économique, il n'arrive pas à un pourcentage plus élevé que 22 %.
On peut penser qu'il y a une erreur de M. Sarkozy dans la compréhension du système canadien qui lui sert de référence. Mais on peut penser aussi que par-delà cette erreur, il y a une sorte de consigne implicite donnée par M. Sarkozy à M. Hortefeux de freiner par tous les moyens l'immigration de famille jusqu'à ne plus respecter le principe constitutionnel du droit à la vie de famille.
Ce qui est choquant puisque M. Sarkozy, en tant que président de la République, est le garant de notre Constitution et des principes qui sont contenus dans son préambule, qu'il a le devoir de faire respecter.
Bibi : Pouvez-vous juger la politique d'immigration de Nicolas Sarkozy de manière impartiale alors que vous êtres proche (voire membre) du PS ?
Patrick Weil : Je ne suis pas membre du Parti socialiste. J'ai travaillé avec Jean-Pierre Chevènement en 1984, il y a exactement vingt-trois ans. Et depuis que je suis engagé dans des activités de recherche, je n'ai aucune appartenance partisane. J'ai accepté de rencontrer tous les responsables politiques gouvernementaux, mes idées sont publiques, mes ouvrages aussi, et je les mets à disposition de l'ensemble des citoyens et des acteurs du monde administratif et politique.
Madeleine : En durcissant les règles du regroupement familial la France ne risque-t-elle pas d'être condamnée par la Cour européenne de justice ? L'objectif de M. Sarkozy est-il conforme à la Constitution ? Cette politique ne risque-t-elle pas de favoriser l'immigration clandestine ?
LEMONDE.FR | 10.07.07 | 15h39 • Mis à jour le 11.07.07 | 18h50
Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, revient sur la lettre de mission envoyé au ministre: "un président d'inspiration libérale veut gérer l'immigration comme on gérait le Gosplan dans les années 1950 en Union soviétique".
Richard : Qu'est-ce que l'immigration économique ? Sarkozy veut qu'elle représente 50 % de l'immigration en général, soit. Mais quelle est sa part actuellement ?
Patrick Weil : L'immigration économique, ce sont des types de séjour accordés sur la base d'un contrat de travail, et non sur la base de droits revendiqués, soit à partir d'un lien de famille, soit à partir du statut de réfugié politique.
En ce qui concerne la part de l'immigration économique, pour l'année 2005, le nombre de ces titres était de neuf mille sur cent trente-six mille titres délivrés à des immigrés permanents hors Union européenne. Ce qui fait environ 6,6 %.
Cela ne veut pas dire que les autres migrants qui obtiennent un titre, par exemple comme conjoint de Français, ne travaillent pas. Une étude menée à la demande du ministère des affaires sociales montre que 70 % des personnes qui entrent au titre de la migration familiale travaillent.
Il y a aussi une dimension économique de la migration qui vient à d'autres titres que l'accès direct au marché du travail. M. Sarkozy vient de fixer un quota de 50 % à M. Hortefeux.
Joanne : Cet objectif est-il réaliste, peut-on le mettre en place ? Comment ? Est-ce une bonne initiative ?
Patrick Weil : Ce que l'on peut dire de cet objectif, c'est qu'il est absolument irréalisable. Donc le fait qu'il ait été annoncé, c'est soit que c'est un mensonge déconcertant, ou une erreur grossière. Je penche plutôt pour l'erreur.
Parce que quand j'ai lu la lettre de mission envoyée par MM. Sarkozy et Fillon, j'ai vu qu'ils faisaient référence au Canada. Mais les rédacteurs de cette lettre ne savent pas ou n'ont pas vu que les statistiques canadiennes ne sont pas construites de la même manière que les statistiques françaises.
En France, si vous venez au titre d'un lien de famille, d'un migrant économique, ou d'un réfugié, vous serez classé dans la grande catégorie de "migration familiale" comme si vous veniez au titre de conjoint de Français ou de parent d'enfant français.
Au Canada, les familles de réfugiés sont comptées avec les réfugiés, et les familles de migrants économiques sont comptées avec la migration économique. Mais si vous désagrégez la catégorie migration économique canadienne et que vous affectez les familles de migrants économiques à une catégorie migration familiale, vous vous rendez compte que sur les deux cent cinquante-deux mille migrants permanents que le Canada a reçus en 2006, seuls cinquante-six mille étaient des migrants économiques, ce qui fait un pourcentage de 21,4 %.
Or il faut savoir que le Canada, eu égard à sa population, accueille quatre fois plus d'immigrants que la France, que le Canada privilégie l'immigration économique, mais respecte aussi le droit d'asile et le droit à une vie familiale normale. Donc malgré cette priorité donnée à l'immigration économique, il n'arrive pas à un pourcentage plus élevé que 22 %.
On peut penser qu'il y a une erreur de M. Sarkozy dans la compréhension du système canadien qui lui sert de référence. Mais on peut penser aussi que par-delà cette erreur, il y a une sorte de consigne implicite donnée par M. Sarkozy à M. Hortefeux de freiner par tous les moyens l'immigration de famille jusqu'à ne plus respecter le principe constitutionnel du droit à la vie de famille.
Ce qui est choquant puisque M. Sarkozy, en tant que président de la République, est le garant de notre Constitution et des principes qui sont contenus dans son préambule, qu'il a le devoir de faire respecter.
Bibi : Pouvez-vous juger la politique d'immigration de Nicolas Sarkozy de manière impartiale alors que vous êtres proche (voire membre) du PS ?
Patrick Weil : Je ne suis pas membre du Parti socialiste. J'ai travaillé avec Jean-Pierre Chevènement en 1984, il y a exactement vingt-trois ans. Et depuis que je suis engagé dans des activités de recherche, je n'ai aucune appartenance partisane. J'ai accepté de rencontrer tous les responsables politiques gouvernementaux, mes idées sont publiques, mes ouvrages aussi, et je les mets à disposition de l'ensemble des citoyens et des acteurs du monde administratif et politique.
Madeleine : En durcissant les règles du regroupement familial la France ne risque-t-elle pas d'être condamnée par la Cour européenne de justice ? L'objectif de M. Sarkozy est-il conforme à la Constitution ? Cette politique ne risque-t-elle pas de favoriser l'immigration clandestine ?